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dont vous parlez connaissent les cruautés et les horreurs méthodiquement ordonnées par leur gouvernement, puisqu’ils ont eu le courage de les condamner. Ils savent de quels crimes le peuple allemand porte la responsabilité : d’où vient qu’ils n’acceptent pas l’idée d’un châtiment, ou d’une réparation, qui, malgré tout, paraîtront toujours très insuffisants, au regard du crime commis et du dommage causé ?

— Ah ! répond Mme de X... vous les connaissez. Ils ne nient point la responsabilité de l’Allemagne dans la guerre ; mais ils s’opposent à ce que cette question soit posée et débattue devant l’opinion. Il y a le point de vue de la conscience humaine, et le point de vue de la politique. Que chacun, disent-ils, pose et résolve pour soi la Schuldfrage ; mais qu’on ne la discute pas publiquement en Allemagne ; et surtout qu’on ne l’exploite pas, comme a fait Fœrster, dans l’intérêt d’un parti ou au détriment d’une classe : c’est le plus sûr moyen de diviser l’Allemagne et de l’affaiblir jusqu’à l’anéantissement. Les Allemands, disent-ils encore, sont plus enclins que d’autres peuples à reconnaître leurs fautes et à s’humilier dans un repentir décourageant, qui brise les forces et détourne de l’action. Mieux vaut donc, politiquement, que le peuple allemand n’ait pas trop conscience d’une responsabilité qui l’accablerait : voilà ce que pensent ici bien des gens. »

Je demande à Mme de X... des nouvelles de son fils, que j’ai connu enfant : « Il a maintenant dix-huit ans et va entrer à l’Université. Jusqu’à présent les malheurs de l’Allemagne ont paru le laisser indifférent. Le patriotisme est un sentiment qu’il ne ressent pas plus en lui-même qu’il ne le comprend chez les autres. Mon angoisse et mon désespoir, aux jours sombres de Caporetto, l’ont attristé, sans doute, mais surtout étonné. Les socialistes indépendants l’intéressent, par l’aspect philosophique de leurs doctrines ; il juge leur internationalisme supérieur au nationalisme de ceux qui ont conduit l’Allemagne à sa ruine ; il lit les journaux des indépendants et fréquente leurs réunions. Beaucoup de jeunes gens de son âge et de son milieu pensent et font comme lui. »

Réaction assez naturelle, après de tels excès. Je ne crois pas qu’il faille attacher grande importance à l’engouement passager de la jeunesse intellectuelle allemande pour les théories d’un Hilferding ou d’un Breitscheid. Ce que je viens