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pas encore beaucoup de cet état d’esprit ; les conséquences s’en observent surtout dans les magasins, dans les restaurants, dans les hôtels. Nulle part, autrefois, on n’était mieux servi qu’en Allemagne ; à présent, on y est réduit à se servir soi-même. Mais il ne faut pas attacher trop d’importance à ce changement, ni surtout lui attribuer une étendue et une portée générale qu’il n’a pas. Dans la bourgeoisie, chez les fonctionnaires, dans le monde de la banque, du commerce et de l’industrie, vous retrouverez à peu près intactes la docilité et la discipline d’autrefois. Croyez-moi, le désordre en Allemagne n’est pas profond : ce peuple reste encore aujourd’hui l’un des plus faciles à gouverner. Mais aussi l’un des plus faciles à persuader. D’où le danger : car il ne discuterait pas plus les ordres d’un directoire bolchéviste qu’il n’a discuté ceux de l’Empereur et des généraux. »

27 juillet. — Je suis allé déjeuner aux environs de Berlin, chez une amie italienne, dont le mari allemand est mort pendant la guerre. Très attachée à sa patrie d’origine, profondément latine d’instincts et de sentiments, Mme de X... a souffert, pendant cinq ans, les pires tortures morales. Elle a fermé sa porte à bien des Allemands, mais a continué d’en voir quelques-uns, de ceux qui, dès les premiers jours, avaient désapprouvé la guerre, et s’étaient élevés publiquement, par la suite, contre la monstrueuse barbarie avec laquelle elle était conduite. Walther Rathenau et le général de Mongelas sont venus récemment la voir. « Vous connaissez, — me dit-elle, — les sentiments de Rathenau, et vous savez comment Max de Mongelas a quitté l’armée et l’Allemagne, pour n’être point contraint de prendre part aux horreurs qui se commettaient en Belgique. Eh bien ! depuis le traité de paix, Rathenau et Mongelas sont très excités contre les Puissances de l’Entente, et particulièrement contre la France. Ils disent qu’après avoir combattu et triomphé au nom de la justice et du droit, les Alliés ont imposé à l’Allemagne une paix de violence et d’injustice. La déception qu’ils en éprouvent est d’autant plus vive, qu’ils avaient fondé plus d’espoir sur la modération et la générosité de peuples civilisés, démocratiques, humains.

— « Mais, dis-je, n’est-il pas inévitable que les conditions de la paix se ressentent des conditions de la guerre ? Les hommes