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est confié à la garde d’un corps de troupes ; le quartier des ministères et celui des journaux sont l’objet d’une surveillance particulière.

Un peu avant midi, je passe dans la Wilhelmstrasse. A l’angle de cette rue et de la Vossstrasse, un écriteau blanc est fixé au bout d’un piquet. J’en fais le tour et sur l’autre face je lis ces mots : « Qui va plus loin est un homme mort ! » En cas d’alerte, on n’aura qu’à retourner l’écriteau.

Vers une heure et demie, comme je sors de l’ambassade de France, une file d’autos blindés et de camions chargés de troupes et armés de mitrailleuses remonte les Linden, se dirigeant vers la place du Château. Je traverse l’avenue et, devant l’hôtel Adlon, je reconnais, — avec quelque étonnement, je l’avoue, — une équipe de Flammenwerfer. Oui, c’est bien le terrible appareil que nous apercevions naguère dans la tranchée d’en face : un soldat porte sur son dos le réservoir de métal bruni ; deux autres tiennent le tuyau et la lance. Ces hommes, qui ont vu la guerre, qui savent quelles affreuses blessures produit l’engin qu’ils manient, auront-ils le courage de diriger sur une foule allemande des jets de liquide enflammé ? Tel est, paraît-il, l’ordre de Noske.

Du côté du château, j’entends une courte fusillade et des cris. Lorsque j’arrive au lieu où l’on s’est battu, il n’y a plus sur la place, dont la police garde les abords, que des vêtements, des cannes, abandonnés par les fuyards, et deux femmes étendues, évanouies, qu’on ne s’empresse point de relever. La troupe achève de refouler dans les rues avoisinantes les manifestants qui, venus des faubourgs de l’Est, étaient parvenus à déboucher sur la place du château et voulaient pousser jusqu’au Reichstag. Les marins, qui avaient la garde du château, ont tiré sur la foule. L’ordre était de tirer à blanc ; mais plusieurs, exaspérés par les insultes et les coups de pierre, avaient chargé leurs armes. Les manifestants ont emporté leurs blessés. Le cortège, gros de dix mille personnes environ, disent les policiers était composé en majeure partie d’adolescents et de filles, qui portaient des drapeaux rouges et des pancartes à inscriptions révolutionnaires.

L’après-midi a été calme.