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retrouvent, et l’âme allemande. La phrase monte, s’arrête et descend, continue et articulée, solennelle et humaine. Au son de la musique, les délégués allemands, en redingote et chapeau haute-forme, vont déposer des couronnes sur le cercueil que recouvre un drap noir : pourquoi pas un drapeau tricolore ? Voici M. de Stockhammern, président de la commission d’armistice, M. de Kühlmann, non pas l’ancien secrétaire d’Etat, mais un de ses parents, chef du protocole, qui représente le ministère des Affaires étrangères ; des délégués du ministère de l’Intérieur et de la Préfecture de Police. Seule la ville de Berlin n’est pas représentée, ayant décliné toute responsabilité au sujet de l’assassinat et refusé de payer l’amende exigée par le gouvernement français.

Le défilé n’est pas terminé, que déjà les soldats de Noske donnent des signes d’impatience. L’officier commande par files à gauche et se dispose à emmener sa troupe indocile. Je vois le général français esquisser un geste de protestation. M. de Kühlmann se précipite vers l’officier, qui semble hésiter d’abord, puis donne un ordre. Les soldats font : à droite, front, et attendent, l’arme au pied.

Comme je sors de la gare, éclate soudain derrière moi un refrain de café-concert. C’est la musique militaire, celle qui jouait tout à l’heure le choral de Bach. Il n’y a là, paraît-il, aucune intention injurieuse : c’est toujours sur des airs de bastringue que les troupes allemandes reviennent d’une cérémonie funèbre.


LA JOURNÉE DU 21 JUILLET


21 juillet.

Les Allemands, ou plus exactement les Berlinois, sont presque seuls à faire aujourd’hui la « grève de solidarité. » En France, en Grande-Bretagne, en Belgique, on y a renoncé ; le travail ne sera interrompu ni en Souabe, ni en Saxe, ni en Bavière. Mais on chômera à Berlin, et l’on prévoit que la journée ne se passera pas sans bataille. Le gouvernement a pris des précautions extraordinaires : la garnison de la capitale a été renforcée ; deux brigades de marine et la division coloniale de Lettow-Vorbeck ont été amenées par petits paquets. La ville a été divisée en un certain nombre de quartiers, dont chacun