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portraits de l’Empereur et de l’Impératrice et des photographies rappelant les principaux épisodes des journées révolutionnaires. L’ancien régime est aboli, mais rien de ce qui l’évoque n’a dis- paru. Tous les fantoches blancs de la Siegesallee sont à leur place, intacts ; aucun des ancêtres de Guillaume II n’a reçu l’injure ni d’un coup de pierre ni même d’un coup de crayon. Et leur double file semble aboutir, non plus comme autrefois à la colonne de la Victoire, mais à la statue de bois d’Hindenburg. L’image du héros est énorme, ridicule. On songe à quelque idole scandinave. Des traces de dorure sont restées à la casquette, que le maréchal tient entre ses doigts, et aux parements du col et des manches. On a retiré les échelles, qui permettaient aux dévots de monter jusqu’à la tête pour y enfoncer des clous de fer ou d’argent. Sur le terre-plein, un artiste s’est installé, qui offrait naguère aux jeunes mariés et aux amoureux de les photographier avec la statue du héros à l’arrière-plan. Les épreuves qu’il expose témoignent du succès qu’il rencontra ; mais il ne travaille plus : il vend, lui aussi, des cartes postales et des cigarettes américaines.


LES OBSÈQUES DU SERGENT MANNHEIM


19 juillet.

Les membres des missions alliées et les quelques Français présents à Berlin ont été convoqués pour dix heures trois quarts à la gare d’Anhalt, afin de rendre les derniers devoirs au sergent Mannheim, dont les meurtriers sont toujours inconnus. Des agents de police font la haie jusqu’à l’entrée de la voie où est garé le fourgon qui doit ramener en France le corps de notre malheureux compatriote. Une centaine d’officiers et de soldats : toutes les armées de l’Entente sont représentées. Face au fourgon funèbre, une section d’infanterie allemande en armes, commandée pour rendre les honneurs. Ce sont des soldats de la Reichswher : ils sont habillés de neuf, mais ils se tiennent mal. Pas de faisceaux formés, les fusils sont appuyés pêle-mêle à des wagons vides. Au moment où débouche le cortège, précédé de deux policiers à cheval, les soldats reprennent leurs armes et s’alignent tant bien que mal. La musique joue la marche de Chopin, mécaniquement et comme à contre-sens. Puis un choral de Bach : là, les musiciens se