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grouillantes et fumantes, presque sans interruption de Cologne jusqu’à Dusseldorf. Ce peuple qui a répandu sur une moitié du monde toutes les horreurs de la guerre, ne les a pas vues, ne les verra pas chez lui ! Quelle paix assez dure pourra jamais lui faire expier à la fois le crime monstrueux et le révoltant privilège !...

Le train stoppe en gare de Friedrichstrasse. Dans la cour s’alignent, à peu près en ordre, des véhicules hétéroclites : chars à banc, tapissières, charrettes à bras. C’est la grève des transports : Berlin, pour le moment, n’a ni fiacres, ni tramways. L’officier français qui est venu m’attendre à la gare fait charger mes bagages sur une camionnette militaire avec le courrier de la mission, et nous allons à pied jusqu’à l’ambassade. Chemin faisant, mon compagnon m’apprend que, dans la nuit d’hier, un sous-officier français, le sergent Mannheim, a été assassiné par des passants, en pleine Friedrichstrasse. Les meurtriers n’ont pas été retrouvés ; peut-être n’ont-ils pas été recherchés.

13 juillet. — Je me suis promené à travers Berlin ; j’ai cherché partout des traces de la révolution, et je n’ai pas trouvé grand’chose. Sur les murs du Château Royal, les mitrailleuses des marins insurgés ont fait quelques éraflures. Les grilles de l’entrée principale ont été arrachées ; on a bouché l’ouverture avec des planches. Le balcon doré, d’où Guillaume II, le 31 juillet 1914, avait harangué la foule, s’est effondré. En face du château, on relève encore quelques traces de balles sur le piédestal du monument élevé à la gloire de Guillaume Ier, le vainqueur, et aux quatre coins duquel des lions de bronze serrent entre leurs griffes les hampes brisées de nos drapeaux. Un groupe de curieux, — des provinciaux, — contemplent tranquillement ces menus dégâts. L’un d’eux a tiré sa lorgnette. Ils échangent des réflexions également dépourvues d’émotion et d’ironie, des réflexions de touristes...

Pour apercevoir des marques plus apparentes de la tempête révolutionnaire, il faut pousser jusqu’à Alexanderplatz, un des carrefours de la vie populaire. On peut voir là quelques maisons éventrées, dont une palissade dissimule les blessures, des grilles tordues et un trottoir défoncé. C’est tout. A l’endroit même où l’émeute fit fureur, les marchands ambulants ont élu domicile. Le petit peuple se presse autour de quelques voitures chargées de cerises. Les marchandes de roses n’ont pas moins de succès.