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J’étais petite enfant et j’écoutais parfois
Les récits des vieillards sur les gens d’autrefois.
Leurs souvenirs longtemps m’ont tenu lieu d’histoire ;
Ils chantaient comme des refrains dans ma mémoire.
Ils évoquaient pour moi, ces récits merveilleux,
Les légendes éblouissantes des aïeux...
Sans autres horizons pendant des mois entiers
Que les flots éternels où tanguaient leurs voiliers,
N’ayant pour les guider vers la terre inconnue,
Comme les mages, qu’une étoile dans la nue...
Chaque strophe du grand poème des aïeux
Se grava dans mon âme et berça mon enfance.
Doux poème d’amour qu’avait écrit la France
Rythmé par des clartés d’aurore et de couchant.
Et dont chaque beauté coule dans notre sang.


Donc c’est elle qui lui a dit : « Va. Réponds à l’appel de la France. Je ferai ta tâche ici. Je couperai le blé et je conduirai les bœufs. Va. Tout ce qui est ici t’est cher,


……….. Mais il faut aimer mieux
Celle qui t’a donné ses mots harmonieux,
Ses mots qui sous nos toits riants ou monotones
S’égrènent en chansons normandes ou bretonnes :
Ses mots qui t’ont gardé ton âme. Va là-bas
Les défendre, ces mots sacrés..., —


auxquelles Canadiens français doivent en effet d’avoir conservé leur religion, d’être encore une nation, de ne s’être point engloutis dans la civilisation anglo-saxonne.

La nuit va venir. Tout à l’heure il fera noir.


Il fera noir sur ta maison pourtant si blanche ;
Il fera noir sur chaque épi, sur chaque branche.


Ce serait la nuit sur l’humanité, si la France périssait.


O mon Jean, s’il fallait, dans la rude mêlée
Que la France déjà meurtrie et mutilée,
Tombât comme est tombé ce printemps le grand pin
Que l’orage a couché sur le flanc du ravin,
Il ferait noir ainsi sur nous et sur la terre.
Oui, le monde a besoin de sa douce lumière.
Et grand’mère t’a dit souvent, au coin du feu,
Que la France, c’était un sourire de Dieu.