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séparait de nous, à tout ce qui les retenait chez eux, au sacrifice que représentait pour chaque individu et pour le pays la participation à la guerre européenne, il faut plutôt s’étonner qu’ils soient venus si nombreux. Soyons reconnaissants à ces milliers de volontaires qui, pour la plupart, se sont bien levés pour la France et pour le droit de la France, non pour un autre amour ni pour un autre intérêt.

Le sentiment qui les a conduits de leurs lacs lointains jusqu’à nos plaines de la Flandre et de l’Artois, vient de s’exprimer d’une façon touchante dans un poème de M. Gonzalve Désaulniers.

Tous ceux qui ont visité Montréal connaissent M. Gonzalve Désaulniers, et lui sont redevables. Homme de savoir et de goût, il est au courant, comme le plus informé d’entre nous, des productions de notre littérature ; il est nourri des classiques, et saisit la vie dans son mouvement chez les modernes et les contemporains. Nul n’a plus fait que lui pour attirer au Canada des Français, y multiplier les conférences françaises, entretenir et développer chez ses compatriotes l’amour, la connaissance, le commerce habituel de nos livres et de nos idées. La France a une grande dette envers ce fils de sa race, si fidèle à sa culture.

M. Gonzalve Désaulniers a récemment publié un court poème, intitulé : Pour la France. A la mémoire de nos morts. Je voudrais en donner brièvement une idée aux lecteurs de la Revue. Ils seront sensibles, j’en suis certain, à la profondeur intense de l’émotion, à la simplicité pure, fluide et nette de la forme. Cette poésie que parfume la tradition de Chateaubriand, de Lamartine et de Brizeux, est bien nôtre, et porte avec elle sa preuve d’origine : il n’y a rien là qui sente l’étranger.

L’âme d’un peuple vient à nous dans cette « lettre d’une petite Canadienne française à son fiancé se battant quelque part en France dans les rangs du 22e bataillon. » La lettre est datée du 15 août 1918. Voici comme parle la jeune fille :


Je suis seule, la nuit est venue, et j’écoute
Le chant des moissonneurs attardés sur la route.
Ma grosse lampe est là tout près ; son cercle d’or
Encadre ton visage absent...


C’est l’heure où l’on ne s’occupe pas d’elle, où elle revit le passé, et revoit son aimé.