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type accompli. Combien d’autres, comme Schlieffen, Bernhardi, Falkenhausen, sans parler de Moltke et de Faikenhayn, eussent, à sa place, déployé les mêmes qualités et commis les mêmes erreurs. C’est que l’État-major allemand imprime à tous ses membres une marque indélébile : l’orgueil, l’orgueil de la patrie allemande, l’orgueil personnel. La supériorité de l’Allemagne dans tous les domaines, et plus particulièrement dans celui des armes, est un dogme indiscutable et d’ailleurs indiscuté. Force est bien d’employer des termes religieux pour expliquer la sorte de culte rendu à leur pays par des hommes tels que Ludendorff.

Divinisée, l’Allemagne a tous les droits et doit avoir tous les pouvoirs sur la terre. Par une pente naturelle, les exécuteurs de ses volontés, — nous allions dire ses prêtres, — c’est-à-dire les chefs de l’armée, croient sincèrement participer de son infaillibilité. Le Grand État-major allemand, cette institution puissante dont le premier Moltke disait orgueilleusement : « La France peut nous l’envier, elle ne le possède pas, » a fait de ses disciples un ordre de véritables et dangereux mystiques. Cela n’est point si enviable !

Sans conteste, Ludendorff plaide sa propre cause, et cela s’excuse, mais il ne fait pas pour rien partie du Grand Etat-major ; c’est pour le justifier qu’il écrit, c’est le parti militaire qu’il soutient, c’est l’apologie des idées qui ont eu cours, et qui continuent à avoir cours dans les milieux pangermanistes impénitents, qu’il entreprend. Il lutte pour la vraie foi. Il en est un des martyrs.

Mais il ne se contente pas de la défendre pour le passé, il prétend bien préparer sa résurrection dans l’avenir. A ses yeux, si bas qu’elle soit tombée, l’Allemagne peut et doit se ressaisir, redevenir la grande nation. Sa confiance en elle est illimitée ; il ne désespérera jamais. Il s’insurge contre la réalité et, ne la pouvant pétrir selon ses désirs, il compte sur le temps pour lui faire violence. Les Allemands vont-ils permettre que des Lithuaniens et des Polonais tirent parti de la provisoire impuissance de leurs voisins pour faire reculer la civilisation allemande ? Que va devenir cette armée qui, depuis quatre années, a tenu si vaillamment tête au monde entier ? Le peuple allemand, en l’abandonnant, veut-il donc se suicider ? « Jamais, au grand jamais, il ne pourra l’admettre. » Il prône l’unification de