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donnée ne peut moins faire que d’exiger, pour sa seule garde de tous les jours, un nombre connu de divisions, il n’avait qu’une manière d’augmenter ses disponibilités, — celui qu’il avait déjà employé au commencement de 1917, — le raccourcissement de son front. Certes, le repli est toujours pénible à décider : c’est en quelque sorte un aveu de faiblesse ; il est dur d’abandonner un terrain qui a coûté à conquérir tant d’efforts et tant de sang, mais ce qui nous était interdit, à nous, au moins sur de vastes profondeurs, parce que nous combattions sur notre sol, l’était moins pour lui qui, au demeurant, ne cédait que du territoire ennemi. Et c’est bien le cas de rappeler ici que la fin seule importait. Si l’on veut vivre, il ne faut repousser aucun moyen licite de salut.

Ce repli, Ludendorff l’eût dû consentir avant le 15 juillet 1918. Aveuglé, il préféra recommencer les expériences finalement malheureuses du 21 mars et du 27 mai. Ce sont des tentatives qu’on ne reprend pas impunément contre un adversaire quelque peu observateur, donc averti. Ce fut à la fois la faillite du procédé de l’attaque à corps perdu et celle du moral des armées allemandes. « L’offensive pour la paix » sombra misérablement dans nos plaines de Champagne.

A ce moment encore, une claire vision de l’avenir devait inciter Ludendorff à prendre, sans plus tarder, la décision énergique de reculer sur une ligne plus courte. Elle le pouvait sauver, au moins pour quelque temps. Dans son obstination orgueilleuse, il ne la voulut pas prendre Ce fut sa perte. Saisi sur tout son front par nos attaques, il vit peu à peu ses réserves fondre comme neige au soleil. Désormais, il était bien à nous.


Les Mémoires de Ludendorff font apparaître en pleine lumière le caractère des hommes qui, jusqu’à ces derniers jours, ont été les véritables maîtres de l’Allemagne, les artisans de sa grandeur dans le passé comme de sa chute récente. Ils mettent au premier plan, peint par lui-même, sans qu’il ait eu grand temps, sinon pour réviser les faits, du moins pour farder ses propres traits, un des produits de l’éducation militaire allemande qui prend l’enfant à peine au sortir du berceau et le conduit, par la voie de l’Académie de guerre et du Grand Etat-major, jusqu’au sommet de la hiérarchie. Ludendorff en est le