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Rien ne l’arrêtera dans l’exploitation de sa percée, puisqu’il n’existe plus rien ou à peu près rien, dans le camp opposé, qui la puisse endiguer. Toute ambition lui est permise.

En d’autres termes, et selon une vieille formule, c’est mettre la charrue avant les bœufs que de tenter la percée avant d’avoir usé, ou mieux absorbé les réserves de l’ennemi.

Nous avons connu des heures où Ludendorff nous accula à une situation analogue à celle qui vient d’être décrite. C’était au début de juin 1918. le seul moment d’ailleurs où deux des grandes attaques allemandes se conjuguèrent suffisamment dans le temps pour que, à force d’y répondre, nous ayons pu craindre de n’avoir plus de divisions réservées. A cette époque, si les Allemands avaient pu faire une troisième attaque en forces sur n’importe quel autre point de notre front, nul ne peut dire ce qui serait advenu.

A notre tour, au début de novembre de la même année, nous étions parvenus, ayant entièrement absorbé les réserves ennemies, à mettre notre adversaire au bord de l’abime où notre attaque du 14 novembre devait le faire infailliblement sombrer.

Que Ludendorff n’ait pas su appliquer cette méthode de guerre, ou même qu’il ne l’ait pas pu, car elle exige de formidables disponibilités en artillerie, en chars, en avions, en munitions qu’il ne possédait peut-être pas, on le comprend encore, mais qu’il nous ait cru incapables d’en faire usage pour notre compte, cela est moins explicable. Et ce l’est d’autant moins que la marée allemande s’était figée, à l’intérieur de nos lignes, sous la forme dangereuse d’immenses saillants, lesquels sollicitent l’attaque aussi sûrement que le paratonnerre attire la foudre.

Après ses succès aussi considérables qu’éphémères du printemps de 1918, devant l’afflux incessant des divisions américaines en France, après constatation de la fougue, un peu inexpérimentée, mais terrible, des jeunes troupes du Nouveau-Monde, plus certain qu’il ne l’avait jamais été de notre supériorité de production en matériel de toute nature, la sagesse lui conseillait, puisqu’il entendait continuer la guerre, de se créer toujours plus de divisions disponibles. Ce seul moyen lui restait d’endiguer nos attaques, si elles se produisaient sur plusieurs points à la fois. Et comme une position de longueur