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qu’il est encore entouré de croyants sincères. Il n’entre pas dans sa compréhension que la foi ait disparu du peuple allemand ; il la croit seulement en sommeil, prête à se réveiller magnifiquement quand résonnera la voix divine par lui transmise. Hélas ! à ses yeux, ceux qui ont charge de la faire entendre se montrent sourds à ses accents et traîtres à leur plus saint devoir ! Lui, continue à agir comme s’ils ne l’étaient point, dans l’illusoire espérance d’être entendu quand même. Le peuple, qui ne le comprend plus, lui obéit d’abord puisqu’il est le maître, jusqu’au jour où, sentant que ses prêtres le trompent et que sa perte est prochaine, il se révolte.


En tant que chef d’armée, Ludendorff est à coup sûr énergique, observateur sagace, instructeur et manœuvrier de talent.

Là où il excelle, c’est dans la guerre de mouvement qui, seule ou à peu près, avait été minutieusement étudiée, en Allemagne comme ailleurs, avant 1914. Ses manœuvres ou projets de manœuvres contre la Russie sont marqués au coin de la meilleure doctrine guerrière : attaque importante et frontale destinée à attirer les réserves de l’adversaire, puis attaque à intention débordante sur un point faible et qui, en Russie, restera forcément faible parce que la Russie ne possède pas les moyens ferrés et routiers nécessaires à l’embarquement, au transport et au débarquement de grandes masses.

Encore, pour admirer sans réserves, serait-on curieux de savoir jusqu’à quel point les Allemands ont été servis par la puissante faction qu’ils ont toujours eue à leurs gages dans les cercles dirigeants de Russie, et de connaître les embarras inouïs dans lesquels se sont débattus nos alliés, — par imprévoyance antérieure et insouciance du moment, il faut le dire, — notamment au point de vue de l’armement de l’infanterie et du matériel d’artillerie. Quand on sait, comme nous le savons, que des compagnies sont allées au feu avec un fusil pour deux et quelquefois trois hommes, que des batteries ont été réduites à appuyer ou arrêter des attaques avec un approvisionnement d’obus de quelques coups par jour, on trouve que les vainqueurs ont peut-être eu moins de mérite qu’il ne paraît.

Là où Ludendorff excelle encore, c’est dans la manœuvre