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il omet de dire que, si les vaisseaux anglais ont coulé des navires et confisqué des cargaisons, ils n’ont pas noyé un seul voyageur inoffensif. Toute la différence est là. Ludendorff ne comprend pas ces différences.

Et cependant, si l’on admet que les deux procédés aient été également contraires au droit des gens, l’un est tout de même supérieur à l’autre au point de vue humanitaire qui est précisément celui du droit des gens. Ludendorff se moque du point de vue humanitaire ; il ne s’y place jamais a priori. A ce sujet, ses principes sont nettement et à plusieurs reprises exposés dans ses Mémoires : « C’est folie de sacrifier la Patrie à de fallacieux principes d’humanité. » Si, en 1917, au moment du repli sur la ligne Hindenburg, il concentre en quelques points qui vont être bientôt occupés par les Français, les malheureux habitants dont il vient de raser les villages, brûler ou emporter les récoltes, pilier les biens, ce n’est pas qu’il pense à leur donner la joie de la patrie retrouvée après tant de souffrances, non, il veut simplement imposer à la France « plus de bouches à nourrir. » S’il renonce, en 1918, à lancer sur Paris des bombes incendiaires qu’il sait devoir faire merveille, ce n’est pas qu’il recule devant un nouveau crime de lèse-civilisation, mais parce que les résultats moraux à attendre ne lui paraissent pas suffisamment établis en comparaison des risques à courir, et ces risques, ses compatriotes les lui indiquent : ils ont peur des représailles des Alliés déjà victorieux et le supplient, s’ils ne le somment, de renoncer à ses intentions.

Tout comme Bernhardi, il est de ceux qui pensent que « la nature même de la guerre est de tout pousser à l’extrême ; » elle ignore la pitié. Cela est si vrai que, lorsqu’il lui arrive de faire l’aveu de forfaits commis par ses armées, — rares aveux et combien discrètement consentis ! — il ne trouve pas d’autre mot que celui-ci : « C’est la guerre ! » Sa guerre peut-être, la guerre allemande, mais pas la guerre.

Au moral, notre homme est donc très cohérent. Nous pensons avoir maintenant dégagé l’idée motrice dont il s’inspire et qui se résume en un seul mot : Allemagne. Allemagne avant tout ! Ludendorff nous apparaît comme un prêtre qui, ayant toujours vu ses fidèles accourir à son appel et accomplir minutieusement les gestes de leur religion, ne s’est jamais aperçu que la forme avait tué l’esprit, et demeure convaincu