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arrive puisque, si leurs prophéties se réalisent, ils se glorifient de leur sagesse, et partagent encore la joie commune si les événements sont plus favorables qu’ils ne l’avaient prédit. Il est, lui, un homme d’action, placé entre deux alternatives : être acclamé s’il réussit, lapidé s’il échoue, sans que personne se demande les efforts qu’il a faits pour détourner le malheur. A son sens, les hommes d’Etat de l’Allemagne et de l’Autriche sont de la première sorte ; ils n’ont jamais réellement cru à la victoire et n’ont pas davantage su trouver le chemin de la paix. Que n’ont-ils abandonné leurs fonctions ? Ludendorff qui croit au triomphe de l’Allemagne est prêt à jeter bas ces impuissants et à prendre leurs pouvoirs, car il croit connaître les secrets à mettre en pratique pour obliger le peuple allemand à vaincre. Il a bien l’âme d’un dictateur et ce sont les gouvernementaux qui, sur ce point, ont raison.


En cet homme, tout se tient ; il est tout d’une pièce ; c’est un monolithe. Le succès de l’Allemagne étant son unique objet, tout s’y subordonne. Il ne prend cure des moyens. Lorsqu’il s’agit de violer la neutralité belge, il n’a aucune hésitation. Pour lui, comme pour d’autres de ses compatriotes, nécessité n’a pas de loi. Il cherche cependant quelques justifications. La Belgique était décidée à se jeter dans les bras de la France ; d’où il appert que l’assaut de Liège n’est qu’une mesure préventive, tout comme la guerre elle-même. D’ailleurs, si la Belgique s’était tenue tranquille, comment la Grande Allemagne se serait-elle accommodée de la présence, sur le flanc de ses armées, de cette puissance, petite mais dangereuse de par sa position ? Il eût fallu la ménager, traiter d’égal à égal avec elle. Trop de soucis vraiment à l’heure où l’esprit des dirigeants sera attiré vers des sujets de bien autre importance.

Des explications ! Ludendorff en donne quelquefois trop pour une âme tranquille. N’imagine-t-il pas de trouver une preuve de la connivence des Belges avec la France dans ce fait que les routes venant de l’Est étaient barrées tandis que rien de pareil n’existait à la frontière occidentale ? Mais ne se souvient-il pas que le roi Albert avait demandé aux Puissances garantes de respecter son territoire, que la France et l’Angleterre s’y étaient engagées et que l’Allemagne seule avait refusé ?

Voulant contourner Liège, il trouve les ponts de Visé