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de la fin, ses appels au gouvernement, un jour pour le presser de conclure une paix rapide, le lendemain pour déclarer la lutte encore possible.


S’il est tenace dans ses rancunes, — et il nous le montre bien par la manière dont il traite, aujourd’hui encore, les personnages civils ou militaires qui n’ont pas eu l’heur de lui plaire, ou l’esprit d’adopter ses opinions, — Ludendorff est fidèle dans ses amitiés. Quand il a mis un subordonné à l’épreuve, il lie sa fortune à la sienne. Tous ceux qu’il a remarqués sur le front oriental, il les pourvoit, une fois parvenu à la Direction suprême, de postes importants, soit à l’Etat-Major général, soit auprès des détenteurs des hauts commandements. Il se crée ainsi une clientèle, ce qui est peut-être un assez bon moyen d’être fidèlement servi. En tout cas, il facilite ainsi sa tâche en ayant partout des agents avisés, des concours utiles et des collaborations doctrinales.


Ludendorff, cela est évident et c’est une justice à lui rendre, est inhabile à masquer sa pensée, mais il devrait savoir qu’à une certaine hauteur, la vérité crue n’est pas toujours bonne à dire. Trop de gens l’entendent et la commentent à leur gré. C’est une maladresse de traiter des alliés susceptibles avec trop de dédaigneuse condescendance. Il ne s’en prive pas. Ayant un jour à prononcer une allocution à propos du cinquantenaire de l’entrée d’Hindenburg dans l’armée, il fait allusion à la part prise par le maréchal à la bataille de Sadowa, et fait publier son discours. Il s’étonne ensuite ingénument que Vienne se soit ému, que Berlin lui adresse des observations avec ordre de reprendre sa publication. Il n’en fait rien d’ailleurs, sous prétexte qu’il est trop tard. Le motif est peut être différent : cet imprimé peut augmenter la confiance des troupes allemandes en leurs chefs. Que pèse à côté de cela la mauvaise humeur de l’Autriche ? Son armée n’en sera ni meilleure, ni pire, et son opinion, à tout prendre, est sans importance, puisque le lien qui la tient unie à l’Allemagne ne se peut desserrer.


Ludendorff est un audacieux qui aime naturellement le risque. Convaincu de la bonté de sa cause, il n’est pas de ceux qui voient toujours tout en noir et se livrent sans cesse aux pronostics les plus sombres, de ces gens qui sont heureux, quoi qu’il