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Russes à la « volonté de destruction manifestée par l’Entente, en 1919, vis-à-vis des quatre Puissances de l’Europe centrale ? » II trouve parfait qu’avant de prendre parti, la Roumanie ail laissé passer la contrebande de guerre à destination des Turcs, mais la Suède qui s’oppose au transit du matériel destiné à la Russie est une nation « qui possède la notion juste des devoirs d’un Etat neutre. » En ravitaillant les Alliés, en construisant pour eux des engins de guerre, l’Amérique, — qui est prête d’ailleurs à rendre le même service aux Allemands s’ils lui font des commandes, — l’Amérique accomplit un acte de quasi-hostilité, mais la Suède, dont le minerai est si nécessaire aux fabrications allemandes qu’elles ne pourraient, sans lui, continuer, est exempte de tout reproche.

Ces contradictions dont on pourrait allonger la liste découlent toutes d’un esprit que nous connaissons bien et qui suffit, pensons-nous, à toutes les explications : tout ce qui favorisa, favorise ou favorisera l’Allemagne est licite ; tout ce qui la desservit, la dessert ou sera de nature à la desservir ne mérite que réprobation.

Ludendorff n’est pas toujours sincère, mais il lui arrive aussi, disant la vérité, de ne pas la dire entière. C’est qu’une réputation allemande est à préserver : celle du grand Etat-Major par exemple. Ainsi il passe sous silence, ou s’efforce de ramener à des objets secondaires les visées lointaines attachées à plusieurs de ses grandes attaques. Que prétendait faire son prédécesseur, à Verdun, une fois la ville conquise ? Quelle exploitation avait-il prévue lui-même pour chacune de ses offensives de mars, mai, juillet 1918, et qu’en attendait-il ? Répondre : rien, et le prouver en protestant que la stratégie est sans importance, que la tactique compte seule, est un enfantillage, surtout de la part d’un homme qui a passé deux ans sur le front oriental à faire, ou vouloir faire, de la bonne stratégie. Mais il faut ménager la chapelle et ses desservants !


Cette vue sur la mentalité de Ludendorff nous révèle aussi pourquoi, aux mauvais jours, nous l’avons vu perdre en partie ses dispositions habituelles. Alors son Dieu est menacé au point que les plus fidèles désespèrent de sa puissance. Il est un de ces fidèles qui tantôt regardent leur idole renversée, tantôt se refusent à croire à pareil sacrilège. De là ses contradictions