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circonstances sont exploités par un meilleur général [1]. » N’est-ce pas une vérité éblouissante que, précisément vers la moitié de l’année 1918, les Alliés réalisèrent le maximum des circonstances favorables énumérées par Bernhardi, à savoir : une supériorité numérique croissante grâce à l’apport américain ; l’entrée en ligne d’une masse de chars blindés (dont les Allemands étaient à peu près dépourvus) et d’une artillerie lourde, nombreuse et bien dressée, si bien dressée qu’en un seul mois, les Allemands, de leur propre aveu, voyaient sauter sous ses coups 13 pour 100 de leurs canons ; la supériorité morale des troupes alliées, notamment après le 15 juillet ; la supériorité, enfin, du principe d’action dont le commandant en chef de l’Entente n’est qu’une vivante incarnation, voilà les causes véritables de notre immense victoire !


Ludendorff n’a jamais compris, et il ne pouvait pas comprendre, qu’il était à la tête de gens d’affaires, engagés dans une mauvaise affaire, et qui, pour éviter la banqueroute, préférèrent, le moment venu, solliciter un concordat et faire faillite.

Car Ludendorff, abusé par sa foi, n’est pas psychologue. Pas plus qu’il ne saisit l’âme de son peuple, il ne pénètre celle de ses adversaires. Il prétend que si l’Allemagne a déchaîné le sanglant conflit, c’était pour se prémunir contre une attaque prochaine de voisins envieux. Bernhardi a plus de franchise ou plus de perspicacité. Il dit : « L’Allemagne nourrit, sur un sol qui a l’étendue de la France, une population de 65 millions d’habitants ; la France n’en a que 40. La population allemande s’accroît chaque année de 1 million environ. Il n’est pas possible que l’agriculture et l’industrie de la mère-patrie puissent à la longue procurer à une masse d’hommes qui croît dans de telles proportions un travail assez rémunérateur. Nous avons donc besoin d’accroître notre empire colonial. Une telle acquisition ne nous est possible, avec les partages politiques d’aujourd’hui, qu’au détriment d’autres Etats ou en nous associant à eux, et ces solutions ne sont praticables que si nous réussissions d’abord à mieux assurer notre puissance dans l’Europe centrale. Maintenant, à chaque démarche de notre

  1. Bernhardi, La Guerre d’aujourd’hui.