Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divisions en arrière de son front de bataille, et encore deux d’entre elles seulement étaient-elles capables d’entrer immédiatement dans la lutte. A la même heure, les Alliés en possédaient plus de 100. Une attaque franco-américaine de 30 divisions qui pouvaient être suivies par une force égale, allait déboucher, le 14 novembre, dans l’Est de Metz, et marcher droit à la Sarre et au Rhin. Rien ne la pouvait arrêter.

L’Etat-major allemand en était si convaincu qu’il avait ordonné l’évacuation de Metz et de Thionville, ces deux boulevards des Pays rhénans. Plus de 160 divisions allemandes, — bien réduites, il est vrai, — allaient avoir à retraiter, l’épée aux reins et le flanc sud débordé, entre la Moselle en aval de Thionville et le Limbourg hollandais ! Après l’armistice, en toute liberté, disposant de toutes les routes entre la Suisse et la Hollande, suivies par un adversaire désarmé par sa parole même, ces 160 divisions ne réussirent leur mouvement rétrograde qu’au prix du sacrifice de la majeure partie de leur matériel. Qu’aurait-ce été en d’autres circonstances ? A la vérité, c’est par centaines de mille hommes, par milliers et milliers de canons, qu’il eût fallu compter nos trophées, si les dirigeants allemands ne s’étaient décidés à signer le protocole déshonorant du 11 novembre.

Or, depuis juillet déjà, la situation militaire s’acheminait à grands pas vers ce terme, et les symptômes de découragement, puis de colère, ne firent que peu à peu leur apparition dans l’armée comme dans le pays. Selon l’expérience de toutes les guerres, nos premières victoires constituèrent un des facteurs principaux du mécontentement général ; bien loin d’être la conséquence de la crise, elles la provoquèrent.

Non, ce n’est pas la révolution qui donna la victoire aux Alliés. Bien avant la dernière campagne, un Allemand célèbre, Bernhardi, nous avait dit les conditions à réaliser pour vaincre : « La décision surgit soudain de deux causes. Ou bien un grand général jette le poids de son génie dans la balance, ou bien c’est d’une circonstance particulière ou d’un heureux concours de circonstances que naît la victoire : supériorité numérique ou tactique ; particularité de l’armement ; supériorité morale due au caractère des troupes ; supériorité du principe d’action. Et, naturellement, le succès est d’autant plus grand que la circonstance particulière ou l’heureux concours de