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Et c’est bien ce qu’il fallait démontrer. Aussi ne craint-il pas de soutenir, — et cela revient au même, — à vous qui êtes du camp opposé, que vous n’êtes pour rien dans l’abaissement de son pays : l’Allemagne des armées n’a été vaincue que par l’Allemagne elle-même, celle de l’intérieur. « Le Seigneur Dieu dans le ciel a abandonné le peuple allemand parce que le peuple allemand s’est abandonné lui-même. » Mais comme un peuple ne s’abandonne jamais que dans les limites permises par ses dirigeants, c’est donc bien le gouvernement qu’il faut accuser.

Son patriotisme prend des allures mystiques, comme on voit. Le Dieu qu’il sert, c’est l’Allemagne. Il professe une foi profonde en la toute-puissance de ses représentants sur la terre, — chefs de l’armée et hommes d’Etat. — D’où cette thèse qui fait le fond de toutes ses explications, à savoir que si, dans leur sphère, les hommes de gouvernement n’ont pas su conserver au peuple sa santé morale, condition de la victoire, c’est qu’ils ne l’ont pas voulu. Ce sont des schismatiques de la religion commune abusés par les néfastes idées du jour, en quelque sorte de coupables modernistes du patriotisme.


Ludendorff a donc la foi du charbonnier. L’affaire a mal tourné ? Pour lui, cela ne signifie pas qu’elle ait été mauvaise, immorale ou mal conçue. L’exécution en fut défectueuse, et voilà tout. Or, l’exécution en était confiée à l’armée, d’une part, et au pays, d’autre part. L’armée a fait tout son devoir ; le pays, non. A eux deux, ils ne devaient faire qu’un seul corps, — et ce fut ainsi, car le contraire est impossible, — mais n’avoir aussi qu’une âme. C’est à ce dernier point de vue que le pays n’a pas marché de pair avec l’armée. Abreuvé à des sources spirituelles impures qu’un gouvernement faible n’a pas su tarir, ni même endiguer, il s’est empoisonné ; il a empoisonné l’armée ; c’est la révolution qui a provoqué la débâcle militaire.

C’est en vérité bientôt dit, et l’explication est commode. Depuis quand les révolutions éclatent-elles par génération spontanée ? Ludendorff a étudié l’histoire et il sait bien qu’un grand peuple ne se livre aux extrémités révolutionnaires que pour échapper à un régime intolérable ou par réaction contre trop et de trop grandes déceptions. Or, pendant presque toute la guerre, le peuple allemand n’a jamais mis en cause le régime