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le perdra. Et, quand il parle de l’Allemagne, il n’envisage pas seulement l’Empire de formation récente que nous connaissons, mais toutes les terres qui furent jadis visitées par des Allemands. C’est « un coin de terre de la patrie » qu’il reconnaît, à Mittau, lorsqu’en mai 1916, il accompagne Guillaume II dans cette ville conquise. A Kowno, dans l’hiver 1915-16, il a devant les yeux, sur la rive droite du Niémen, une tour ruinée, reste d’un vieux château-fort autrefois édifié par les chevaliers de l’Ordre teutonique ; il songe alors à la restauration possible de l’hégémonie allemande sur ces territoires baltiques où ses ancêtres ont jadis pénétré. Là où l’Allemagne marqua sa civilisation, elle peut bien l’imposer encore.

Que faut-il pour cela ? La victoire. Or, l’Allemagne y est si bien préparée, qu’elle est normalement invincible ; elle le restera donc pour peu que le gouvernement entretienne dans le peuple le feu sacré du patriotisme avec l’esprit de sacrifice qu’il implique. En ce qui le concerne, il n’omet rien pour qu’il en soit ainsi aux armées. Son émotion ne fut jamais si forte qu’un certain dimanche où il entendit résonner dans le temple un vieux chant qui disait : « Plein de cœur et plein de vie, je t’ai donné mon cœur et ma vie, ô toi, ô mon pays allemand ! » Et il ordonna que ce verset fût chanté à chaque office, afin que tout soldat en connût les paroles. Plus tard, il recrute des conférenciers et organise un service spécial d’action morale qui procède par tournées dans les armées.

De cet axiome, — l’Allemagne ne peut être vaincue, — il tire toutes les déductions, à la manière de théorèmes. Exemple : si l’Allemagne, un jour, est menacée de défaite, c’est donc que quelqu’un de ceux qui étaient chargés de la conduire à la victoire, n’a pas fait son devoir. L’armée ne pouvant évidemment être soupçonnée, c’est le pays qui est coupable, et le gouvernement, son guide, par conséquent.

Allez plaider devant lui la cause de ce gouvernement, dites-lui que le peuple allemand a pu être soumis à trop rude épreuve et qu’il a chancelé sans que rien ni personne s’y pût opposer et il vous répondra sincèrement que cela est faux, que son peuple est, par définition, l’enfant chéri de la victoire, qu’il possède toutes les qualités naturelles pour la séduire et, au besoin, la violenter, et que, s’il n’y est parvenu, c’est qu’on n’a pas su mettre en œuvre tous les dons qu’il tient de la divinité.