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on parlait d’autant moins qu’on pensait à lui davantage. Oui, dans l’année, lourde d’angoisse, qui suivit la mort de Louis XVI, où la France, désorganisée et égarée hors de sa tradition séculaire, pressentait imminent l’effondrement final, il se trouva, parmi les responsables du grand désarroi, des patriotes sincères qui, venus à résipiscence, firent effort pour endiguer le torrent ; d’autres s’y employèrent par visée personnelle, prévoyant que celui qui mettrait la main sur l’otage de paix, de concorde et de puissance qu’abritait le Temple, deviendrait le maître du pays ; plusieurs n’y travaillaient que par peur, sachant bien que l’enfant-roi serait pour son libérateur un gage d’impunité, et il faut compter aussi les aventuriers dont les grossiers instincts s’exaspéraient de convoitise à la pensée de ce « louveteau » dont la possession assurerait, à qui aurait la chance de se l’attribuer, la vie sauve, l’argent, l’influence, les honneurs et la renommée. Il ne faut pas attribuer à de mesquines rivalités les luttes farouches et les sanglantes « fournées » qui rougissent l’histoire de notre Révolution : elles furent les épisodes de la bataille acharnée livrée pour la conquête de l’orphelin vers lequel convergeaient toutes les ambitions et que la Commune geôlière gardait étroitement dans la seule crainte de se voir frustrée d’une proie qui valait cher. C’est pourquoi l’évocation de cet enfant aimable, gracieux et attachant, qui, encore à l’âge de l’insouciance, objet de tant de passions, d’intrigues, de vœux, de manœuvres, de soupirs, de brigues et d’appétits, joue au ballon sous l’œil de ses gardiens dans l’antichambre de sa prison, ou, agenouillé près de sa mère, épèle, dans son Histoire de France, les exploits de ses aïeux, demeure, parmi les images dont s’illustrent les annales du monde, l’une des plus suggérantes et des plus pensivement contemplées.


G. LENOTRE.