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écarté, favorable aux assemblées secrètes et où, sans doute, fut agité souvent, en acerbes et orageuses discussions, le sort du petit Roi du Temple.

Donc l’espion anglais ne ment pas : les membres du Comité de Salut public se rapprochaient des membres de la Commune et d’autres révolutionnaires influents, en certains colloques furtifs ; l’agent de sir Drake avait trouvé le moyen de s’insinuer dans ces réunions extra-parisiennes, et c’est de celles-ci et non des délibérations officielles des Tuileries qu’il rend compte à son correspondant. Voilà, sur ce point, sa véracité établie, puisqu’il rapporte des incidents qui furent révélés postérieurement à thermidor, c’est-à-dire longtemps après l’envoi de son dernier bulletin. Quant à la proclamation du jeune Capet comme roi de France, c’était là, en cette époque trouble, une accusation si banale et si courante qu’elle était devenue un lieu commun. Le Comité de Salut public s’en arma contre les Girondins ; on l’utilisa contre Hébert, « ce partisan couvert de la Royauté ; « contre Danton ; on la formulera contre Chaumette et contre Robespierre ; elle enverra à la guillotine des centaines de suspects et on la retrouve si fréquemment dans les réquisitoires de Fouquier-Tinville qu’elle semble un refrain obligé. Or, — c’est un dilemme : — ou bien les protagonistes de la Révolution sont de cyniques bandits, dénués de conscience et d’imagination, qui ne prennent même pas la peine d’inventer, pour chaque hécatombe, un prétexte inédit d’égorger leurs adversaires, — ou bien l’accusation sous laquelle ils succombent tour à tour est fondée, et il en faut conclure que tous, sans oser le proclamer publiquement, considéraient un retour à la royauté constitutionnelle en la personne du fils de Louis XVI comme le dénouement sauveur et la solution salutaire. Ce n’est pas user de paradoxe ni offenser la mémoire des Girondins, de Danton ou de Robespierre de prétendre que, aux heures où la France était en péril, ils sacrifiaient leur sentiment démocratique à l’intérêt de la Patrie et envisageaient l’éventualité d’une restauration monarchique dont ils espéraient, comme immédiats résultats, le recul de l’étranger, la pacification de la Vendée et la fin des discordes civiles. Par malheur pour l’enfant captif, aucun n’osa préconiser ouvertement ce moyen sûr de réconciliation ; chacun l’élaborait en secret et le méditait isolément, escomptant pour son parti la tutelle du petit Roi dont