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conservés dans les archives de Dropmore Lodge, les curieux de l’histoire de la Révolution française demeurèrent ébahis à la constatation que Francis Drake, ministre britannique à Gênes au temps de la Terreur, envoyait à Lord Grenville, alors ministre des Affaires étrangères, des rapports d’un agent secret qu’il entretenait à Paris et où les hommes et les choses de la Révolution étaient présentés sous un aspect qui paraissait absolument fantaisiste.

Comme Francis Drake, au cours de sa carrière diplomatique, fut soumis à de rudes épreuves de la part de nos jacobins qui le bernèrent parfois avec aplomb, on pouvait croire que, une fois de plus victime de son zèle antirévolutionnaire, il avait été grossièrement mystifié. Tel fut l’avis des plus réputés spécialistes. Comment ! au nombre des secrétaires du Comité de Salut public, se serait glissé un espion, admis aux délibérations les plus secrètes et les plus compromettantes ? Première invraisemblance : et il se rencontrait, par surcroit, que cet espion, demeuré anonyme, avait communiqué à celui qui le payait des renseignements en complet désaccord avec ce que nous savons de cette mémorable époque ! Par exemple, il représentait le Comité de Salut public partagé en deux camps ennemis, dont l’un tenait ses séances hors des Tuileries, siège officiel, et tramait ses complots à Choisy, à Charenton, à Vanves, à Issy et ailleurs… Il citait au nombre des personnages prenant part à ces réunions clandestines des hommes tels que Hébert, Pache, Chaumette et d’autres qui, n’étant pas membres de la Convention, ne firent jamais partie du Comité et lui avaient déclaré guerre ouverte. Il y avait là de quoi justifier, dès l’abord, une récusation sans appel de ces bulletins qui, lors de la publication, furent traités de « grotesques niaiseries. »

D’autre part, il semblait tout de même bien étonnant que sir Drake écrivit à son ministre : « qu’il pouvait avoir toute confiance dans l’authenticité de ces rapports émanant d’une personne employée comme secrétaire par le Comité et qui dissimule ses véritables sentiments sous les dehors du jacobinisme le plus exalté. » Et, dans une autre dépêche, il précise encore : « Il faut que vous sachiez qu’il est impossible qu’on nous abuse sur ce qui se dit de plus secret dans le Comité de Salut public. » Cette affirmation revient avec tant d’insistance qu’il serait téméraire de la traiter de hâblerie.