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et, chez Elisabeth, en furetant, il a découvert des pains à cacheter et de la cire à clore les lettres. La Tison, sachant son mari aux prises avec le maire, descend, elle aussi, fort émue : elle défile tout ce qu’elle sait et nomme les municipaux suspects : Toulan, Lepitre, d’autres encore, et aussi le garçon servant Turgy… Elle crie, elle se lamente, réclame sa fille. Elle et son mari signent leur déclaration.

L’affaire vint à la Commune le 21 ; elle y fit grande sensation ; sans doute Lepitre et Toulan sont perdus : la plus sommaire enquête va dévoiler que le premier s’est vendu pour cent mille livres aux ennemis de la République, que l’autre a introduit au Temple un agent royaliste : leur prévarication à tous deux est manifeste ; le tribunal révolutionnaire qui siège depuis quinze jours est institué pour punir les crimes de ce genre… Rien de tel : on se contente d’ordonner que les scellés seront apposés sur les papiers des commissaires incriminés, et comme on n’y trouvera rien de suspect, ils ne seront même pas rayés du nombre des membres de la Commune ! Seules, les prisonnières seront châtiées : une minutieuse perquisition dans leur appartement permettra d’y saisir leurs livres de prières, une Consécration de la France au Sacré-Cœur de Jésus, et un chapeau d’homme trouvé dans la chambre de Madame Elisabeth et qu’elle dit être un souvenir de son frère. Stupéfait, plus encore que d’autres, de cette incompréhensible indulgence, Lepitre parvenait plus tard à se l’expliquer par la rivalité qui commençait alors à mettre aux prises la Commune et la Convention ; celle-ci n’avait que mépris pour les petits représentants de l’Hôtel de Ville, couramment traités de boueux, de buveurs de sang, de massacreurs de septembre… par les députés modérés, bourgeois dédaigneux de ces petites gens. La Commune, de son côté, ne souffrait pas la moindre atteinte à son prestige et, pour le préserver des fêlures, dissimulait de son mieux l’imperfection de ses membres. Voilà ce qui, durant un temps, sauva tant de municipaux louches ou véreux ; « voilà pourquoi on fit évader Toulan sur lequel il existait des charges assez fortes pour qu’il fût difficile de l’absoudre. »

L’histoire de la captivité et des malheurs du fils de Louis XVI restera incomplète et indéchiffrable si on l’isole de la politique ambiante en négligeant d’étudier les sourdes