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les deux enfants, bien entourés par les soldats, devaient passer inaperçus. Au dehors, nombre de fidèles apostés, recevant les évadés, les auraient conduits, sans perdre un instant, à une maison isolée des environs de Brie-Comte-Robert où ils seraient demeurés cachés. On disposait de toute la nuit pour effectuer ce court trajet, car le Conseil du Temple ne pouvait s’alarmer qu’au matin seulement, en ne voyant pas la Reine sortir de sa chambre comme à l’ordinaire pour souhaiter le bonjour à sa belle-sœur.

Une telle combinaison peut sembler bien hasardeuse ; pour la juger acceptable, il faut savoir ce qu’était cette force armée qui tenait les postes du Temple : la garde nationale de 1793 n’était plus la milice bourgeoise des premiers temps de la Révolution : Santerre et la Commune avaient collaboré à sa désorganisation et à son indiscipline. Hébert, aussi puissant au Conseil général que l’était Chaumette lui-même, avait, pour sa part, déclaré une guerre sans merci aux grenadiers : sans doute l’exiguïté de sa taille expliquait-elle cette haine féroce contre ces beaux hommes, honneur et luxe des cohortes parisiennes. Un soir, à la Commune, il donna libre cours à ses rancunes, s’élevant contre ces favorisés « qui n’ont, au-dessus de leurs concitoyens, d’autre mérite que la taille » et qui bénéficient de « ces distinctions funestes imaginées par le traître La Fayette pour opprimer les patriotes et empêcher l’égalité de naître ! » Et, pris d’une soudaine fureur, il demande qu’un factionnaire grenadier, « placé à la porte de la salle où siège la Commune, soit relevé sur-le-champ. » Conformément à ce réquisitoire, la sentinelle est congédiée, les compagnies de grenadiers sont dissoutes et les quelques municipaux qui siègent ce soir-là, faisant assaut de complaisance et de servilité envers le substitut de Chaumette, décident d’inviter les gardes nationaux à renoncer à l’uniforme, « autre distinction destructive de l’Egalité. » On juge de ce que pouvaient être le zèle et la cohésion d’une troupe enrôlée au service de pareils hâbleurs. On signalait, en diverses localités de Paris, des bandes de gardes nationaux qui, conduits par des officiers municipaux munis de leur écharpe et décorés de la cocarde nationale, pénétraient dans les fermes, garrottaient maîtres et domestiques, les jetaient dans la cave et dévalisaient la maison. Pour l’honneur de la Commune, il fut établi que ces malfaiteurs n’étaient