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débarrasser de lui pour toute la nuit ; et c’est ainsi qu’ils étaient parvenus, grâce à la ruse du Gascon, à passer de longues heures avec les détenues et à les entretenir sans crainte des fâcheux, quand les Tison, dont on se méfiait, étaient endormis.

Toulan fit mieux encore : il introduisit au Temple le général de Jarjayes. Comment travesti ? On ne l’a jamais su ; mais du fait on ne peut douter, puisqu’on possède l’aveu de Jarjayes lui-même, et deux billets de la Reine faisant allusion à cette visite. Le général avait, sans recourir à Laborde, payé, de sa bourse, cent mille francs à Lepitre ; mais il voulait se rendre compte des possibilités de l’évasion projetée : il reconnut après examen, que si la sortie de toute la famille royale était « chimérique, » celle de la Reine seule paraissait « très praticable, » les Commissaires, écrivait-il, « pouvant l’emmener pendant la nuit sans aucun danger, sous le même déguisement qu’ils m’avaient fait prendre pour m’introduire… » On sait que Marie-Antoinette refusa de quitter son fils et sa fille, et Jarjayes qui, nommé à l’armée des Alpes, ne pouvait différer son départ de Paris, l’implora en vain de se laisser convaincre. Il dut se contenter d’emporter du Temple le cachet et l’anneau de Louis XVI qu’il envoya au comte de Provence, avec une lettre de la Reine, de Mme Elisabeth et un court billet portant les signatures de Mme Royale et du Dauphin.

L’illusion avait été courte : conçu vers la fin de février, le projet était abandonné au début de mars ; mais déjà une autre tentative d’enlèvement se préparait. La famille royale en était-elle avisée ? C’est possible ; car le dévouement de Turgy ne se décourageait pas et, à défaut de commissaires complaisants, il entretenait avec le dehors une correspondance suivie. Il semble bien cependant que les nouveaux conspirateurs se passaient, cette fois, de l’assentiment de la Reine. À leur tête se trouvait le baron de Batz, bien connu par son ardeur et ses entreprises contre-révolutionnaires : il avait recruté toute une compagnie, trente royalistes entreprenants, sous le commandement de l’épicier Cortey, capitaine de la Garde nationale : cette compagnie devait occuper les postes du Temple un soir où le municipal Michonis, affilié au complot, serait commissaire à la Tour. Il se chargeait d’ouvrir les portes et de prévenir les détenues qui, couvertes de chapeaux et de manteaux militaires, armées d’un fusil, sortiraient, vers minuit, dans une fausse patrouille ;