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Marie-Antoinette la tête couverte d’un voile de veuve. Incidents précieux à noter : si sévères que fussent les consignes édictées par la Commune, on parvenait à les éluder : le Temple n’était point une prison si fermée qu’on ne pût espérer y pénétrer. La Reine obtint aussi que le docteur Brunyer, ci-devant médecin des enfants de France, donnât des soins à Madame Royale qui souffrait d’une plaie à la jambe : comme le traitement se prolongea durant plus d’un mois, le docteur put largement approvisionner de nouvelles les prisonnières et leur communiquer les renseignements que lui transmettait Mme de Tourzel, alors de séjour à Paris. Le zèle soupçonneux des commissaires se fatiguait visiblement.

On constate, d’ailleurs, à ce même temps, dans la Commune, un relâchement singulier. Le Temple, malgré sa bonne cuisine, semble n’avoir plus d’attrait pour les municipaux. À la séance du Conseil général, le 28 janvier, un membre se faisant le porte-parole de ses collègues, proteste qu’il est ridicule de voir les élus du peuple de Paris servir « de valets à Mme Capet et vider ses pots de chambre. » En dépit des murmures qui accueillent ce mouvement oratoire, il poursuit : — « Il est temps qu’on délivre la Commune de ce fardeau ; il est temps que notre responsabilité cesse ; qu’on mette la ci-devant Reine à la Conciergerie ou à la Force ! » La proposition soulève un long débat où intervient Real, l’un des substituts de Chaumette, et qu’il clôt en quelques phrases grosses de prévisions menaçantes : — « Ce n’est pas pour la femme de Capet que vous allez au Temple, mais pour son fils. Vous croyez cette garde inutile ?… Moi, je la crois plus importante que jamais. Louis n’était presque plus à craindre ; mais son fils, cet enfant intéressant, encore appuyé sur une antique prévention, ne le comptez-vous pour rien ? Croyez-moi, c’est un otage qu’il faut conserver avec soin. Craignez qu’en feignant de mettre peu d’importance dans sa garde, vous ne fussiez soupçonnés d’en mettre peu dans son évasion. » L’ardeur des municipaux n’en est pas stimulée : huit jours plus tard, Dorat-Cubières, secrétaire de la Commune, remarque avec mélancolie le petit nombre d’assistants qui siègent au Conseil ; il se plaint avec amertume de la négligence de ses frères « et de leur refroidissement à servir la chose publique. » Le général Santerre lui-même est d’avis de réduire la garde militaire du Temple ; au