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entrain communicatifs et l’ensemble de sa personne était séduisant. Ses fréquentes visites au Temple lui avaient fourni mainte occasion d’approcher les prisonniers. Comme beaucoup d’autres il se montrait indifférent à leur malheur et cette impitoyable attitude lui méritait la pleine confiance du Conseil général ; mais un mot de Marie-Antoinette prouve que Toulan, dès le premier abord, n’avait pris ce masque farouche que pour dissimuler sa respectueuse pitié. Le drame du Temple abonde en artifices de ce genre ; c’est ce qui le rend si complexe et, par instants, si obscur : l’Histoire, sur bien des points, est dupée comme l’était la Commune. Ce méridional était si adroit et si habile comédien, il affectait devant ses collègues un jargon si purement révolutionnaire, qu’il déroutait les plus soupçonneux ; il leur imposait aussi, car il avait de l’esprit et de l’aplomb. De l’aplomb surtout : il le prouva, lors de son tour de garde des 26-27 janvier, en forçant, dans la salle du Conseil, le tiroir de commode où avait été déposé, cinq jours auparavant, le paquet scellé contenant l’anneau de mariage du Roi, son cachet et les cheveux de la Reine et de ses enfants. Toulan s’empara de ces reliques et les rapporta à la Reine. Quand le Conseil du Temple, en grand émoi, s’avisa de la disparition des précieux objets, il jugea que leur valeur marchande avait tenté quelque voleur vulgaire, opinion renforcée, sans nul doute, par l’éloquence de Toulan lui-même, et l’on s’entendit prudemment pour « étouffer l’affaire. »

C’est aussi bien probablement à l’influence de Toulan que la Reine dut la visite d’une ouvrière mandée pour corriger les robes de deuil, mal bâties, faute d’essayage. Cette ouvrière, Mlle Pion, n’était autre qu’une ancienne couturière de la Reine, entrée au service de Mme de Tourzel ; elle vint deux jours de suite à la prison : — « Je ne puis dire, raconta-t-elle, tout ce que j’éprouvai en voyant ma chétive personne faire briller sur les visages de cette auguste famille un rayon de consolation… Mgr le Dauphin, dont l’âge excusait les étourderies, courait tantôt à moi, puis à la Reine, aux deux princesses et même au municipal : il en profitait pour me faire, sous l’apparence d’un jeu, toutes les questions que pouvait désirer la famille royale et jouait si bien son rôle qu’on ne pouvait se douter qu’il m’eût parlé. » Peut-être, vers la même époque, faut-il placer les visites du peintre Kocharsky, qui fit au pastel un portrait de