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boire un coup de vin ? — Madame, riposte le savetier avec fierté, je ne bois pas comme cela avec tout le monde ! » Les princesses l’appellent souvent, le sachant très complaisant : il paraît devant elles d’un air délibéré : — « Que désirez-vous, mesdames ? » Et aussitôt il cherche à les satisfaire. Si ce qu’elles réclament ne se trouve pas dans les magasins du Temple, il court chez les marchands. La Reine dit un jour : — « Nous sommes fort heureuses de ce bon M. Simon qui nous procure tout ce que nous demandons. » Les prisonniers paraissent s’amuser de la naïveté de cet homme et il semble bien que tout le monde au Temple rit sous cape de sa bêtise et de son importance, qu’il inspire même à ses collègues une sorte de pitié ; mais on ne le redoute pas : il n’est ni faux, ni haineux ; comme beaucoup de ceux auxquels la vie n’a pas réussi, heureux de trouver sur le tard une place qui lui donne l’impression d’être indispensable, il prend au sérieux sa qualité d’élu du peuple et s’imagine incarner la Révolution.

Mais à qui, encore une fois, doit-il ce crédit que sa valeur personnelle ne justifie en rien ? Quelqu’un d’ambitieux et de puissant ne pousse-t-il pas de l’avant, afin de l’étudier et de s’en faire un instrument docile, ce comparse assez rigide pour être incorruptible et en même temps assez souple pour obéir aveuglément à qui lui commandera en maître au nom de ses devoirs d’intransigeant républicain ? Sans l’appui d’aucun texte, on a cité Marat au nombre des protecteurs de Simon ; mais on n’aperçoit pas le lien entre ce savetier borné et le théoricien de l’anarchie. Robespierre, dont on a également avancé le nom par simple hypothèse, paraît, lui aussi, être totalement étranger au rapide avancement de Simon. Comme il faut bien cependant en découvrir l’imprésario, ne doit-on point croire que Chaumette et Hébert, complices madrés et entreprenants, maîtres absolus au Temple et à la Commune, tiennent les fils de ce pantin auquel ils réservent un rôle de premier plan et dont il jouera inconsciemment les scènes périlleuses, alors qu’eux-mêmes se tiendront prudemment dans la coulisse ? Cette supposition a du moins sur les précédentes l’avantage d’une référence : le municipal Verdier qui, en sa qualité de médecin, surpassait en pénétration la grande majorité de ses collègues du Conseil général et qui, ayant été chargé de l’apurement des Comptes du Temple, était en situation de bien