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cordonnier, dès le début d’octobre 1792, hébergé à la Salle du Conseil, pénètre à son gré chez les prisonniers, leur adresse la parole, sans que personne jamais s’étonne de ces dérogations à la consigne. C’est, au physique, un homme robuste, en dépit de ses cinquante-six ans, un peu dur d’oreille, aux traits brutaux à la fois et hébétés, aux yeux écarquillés comme sont ceux des gens qui ont de la peine à comprendre. Il a les cheveux plats, la tête toujours couverte d’un vieux chapeau rond et mou ; il est vêtu, quand il est endimanché, d’un habit de drap « couleur de la nation, doublé de rouge écarlate » que le ravaudeur Peigné a « raccommodé partout. » Au moral, le tableau n’est guère plus flatteur ; ses collègues, qui ne l’ont pas en aversion, s’accordent à le présenter comme un malheureux, sans éducation ni instruction, pas aussi méchant que les historiens l’ont voulu peindre, ayant « un bon fonds de sensibilité, d’honnêteté et même de générosité, » mais n’étant pas « fort spirituel, » enthousiasmé de la liberté et de l’égalité, jouissant avec délices des droits qu’elles confèrent et en usant envers tout le monde sans gêne ni nuance. » Le portrait diffère grandement de celui que la légende accepte comme authentique ; mais il est certainement ressemblant, car il concorde avec quelques épisodes recueillis par les contemporains. Ceux-ci nous montrent, par exemple, le cordonnier farouche, ému aux larmes du désespoir de la Reine et de sa fille le jour où, le Roi étant transféré à la Grosse Tour, elles redoutent une séparation définitive. — « Je crois que ces bougresses de femmes me feraient pleurer, » dit Simon en s’essuyant les yeux ; et, tout de suite, pour dissimuler son apitoiement : — « Ah ! vous pleurez ! Vous ne pleuriez pas, le 10 août, lorsque vous passiez la revue pour faire assassiner le peuple ! — Le peuple est bien trompé sur nos sentiments, » répondit simplement Marie-Antoinette. Il traite bientôt d’ailleurs « Mme Capet » en bon camarade ; un jour, comme elle lui demande des nouvelles de Mme Simon, malade à l’hôpital : — « Dieu merci ! elle va mieux… C’est un plaisir de voir actuellement ces dames de l’Hôtel-Dieu ; elles ont bien soin des malades… Elles sont habillées comme ma femme, comme vous, mesdames, ni plus ni moins… » Une autre fois, il pénètre tout courant dans les appartements, car il se démène et s’emploie en conscience du matin au soir ; la Reine, le voyant en sueur, dit : — « Vous avez bien chaud, monsieur Simon, voudriez-vous