Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par huitièmes et imputable aux besoins de Louis XVI et de sa famille jusqu’à la réunion de la Convention nationale ? Au milieu d’octobre, la Commune n’avait pas encore touché un écu de ce demi-million ; le Roi non plus, bien entendu. Le Conseil insurrectionnel avait paré aux plus pressantes dépenses « en épuisant 15 000 livres trouvées dans les coffres ; » mais les fournisseurs, les entrepreneurs et les ouvriers réclamaient, et l’argent manquait pour les payer. Roland, ministre de l’Intérieur, plein de rancunes et d’animosité contre la Commune de Paris, se refusait à « donner un sou » et, par comble, le texte du décret ordonnateur demeurait introuvable. Dans cette extrémité, évaluant qu’elle payait cher la gloire d’être la geôlière du tyran, la Commune avait résolu de modérer l’architecte Palloy et ses collègues auxquels étaient confiés les travaux du Temple, et délégué une commission chargée de lui rendre compte de la situation. Cette commission était composée de deux membres : Antoine Simon, ce cordonnier, et Toussaint Charbonnier, ce bonnetier, dont on a déjà cité les noms.

Il ne paraît pas vraisemblable que, parmi ses deux cent quatre-vingt-huit membres, le Conseil général n’ait pu choisir, pour remplir cette mission difficile et délicate, des représentants plus qualifiés que ces deux personnages, incapables d’examiner un devis, de vérifier une addition et de rédiger un rapport. Si elle n’a pas un but inavoué, leur désignation ressemble à une mystification, et il serait précieux de connaître quel protecteur mystérieux entreprenait de pousser ainsi le savetier Simon sur la voie des honneurs et des profits. Comment expliquer, d’abord, que la section du Théâtre-Français elle-même, l’une des plus « remuantes » et des plus avancées de Paris, n’eût pas trouvé, dans la nuit du 10 août, pour la représenter à l’Hôtel de Ville, un commissaire plus intelligent et plus décoratif que ce besogneux borné et sans instruction ? C’était un pauvre hère qu’une vie d’entreprises avortées avait cahoté : en débarquant de Troyes où son père tenait un étal de boucher, il avait été d’abord apprenti, puis maître cordonnier ; ne trouvant pas à gagner sa vie, il monta, rue de Seine, une gargote où il donnait « à manger et à coucher ; » mais l’ordre et la compétence lui faisaient également défaut ; son livre de débit était tenu de telle sorte que, lors d’un inventaire, les experts se déclarèrent dans « l’impossibilité d’y reconnaître