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il a représenté la fermeté, la patience, la sagesse et le tact. Les peuples alliés lui ont rendu hommage. Nos ennemis eux-mêmes l’ont désigné par leur haine à notre reconnaissance. Si la Constitution de 1875 a besoin d’être défendue un jour, on tirera un excellent argument, pour la défendre, de la manière dont M. Poincaré a su l’appliquer. Je sais qu’il ne partage pas tout à fait mon avis à ce sujet ; il est beaucoup plus revisionniste que moi. Mais peut-être que, du dehors, je suis moins sensible que lui au jeu difficile des rouages et plus frappé par les heureux résultats obtenus. Sans insister et sans vouloir tomber dans l’apologie ou dans l’éloge académique, j’ajouterai seulement que, dans ces circonstances extraordinaires, la France a trouvé en elle-même des équipes remarquables et qu’elles ont toutes accepté la haute direction du président de la République qui restera, pour l’avenir, le président de la République de la Grande Guerre et de la Victoire.

M. Poincaré s’en va : par qui sera-t-il remplacé ? Est-il indiscret de se poser ici une question que tout le monde se pose. On parle, d’abord, d’une douce violence que se laisserait faire M. Clemenceau. Rien de plus naturel. Après les grands services, les démocraties n’ont pas beaucoup de moyens à leur disposition pour témoigner de leur reconnaissance à leurs grands serviteurs. Si nous étions à Rome, le Sénat se réunirait et proclamerait M. Clemenceau Père de la Patrie. Ces deux mots le mettraient à sa place dans le monde et devant l’histoire. Mais ces tempéraments actifs ne se nourrissent pas de formules creuses. Un homme de cette trempe a besoin d’exercer ses muscles intellectuels. Sa vitalité n’est pas épuisée ; je dirai même qu’elle s’achève et qu’elle grandit encore plutôt qu’elle ne décline. J’aime mieux le Clemenceau du Conseil suprême et du voyage à Londres que le Clemenceau des négociations. En un mot, il faut à de tels hommes l’occasion d’avoir leur avis, de le dire et d’exercer leur ascendant. Il m’est si difficile de concevoir M. Clemenceau dans la retraite, que je le vois parfaitement à l’Elysée.

Si M. Clemenceau décline toute candidature, nous rentrerons dans le cours normal des choses : nous aurons, sans doute, une candidature Deschanel, peut-être une candidature Viviani : on a parlé aussi de diverses candidatures sénatoriales, soit M. Antonin Dubost, soit M. Jonnart, soit M. Paras ; il a été