Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la représentation, un phénomène assez singulier. M. Albert du Bois n’avait certes pas cherché cet effet et même n’avait pu le prévoir, puisque sa pièce était, paraît-il, écrite et reçue avant la guerre ; il ne pouvait deviner comment certaines tirades sonneraient dans l’atmosphère d’aujourd’hui. Elles y ont pris une sonorité déplorable. La pièce, qui met en présence l’idée de paix universelle et celle de guerre nationale, semble faite pour maudire celle-ci et exalter celle-là. Or, nous venons de les voir l’une et l’autre à l’œuvre. Aussi n’est-ce pas sans un certain malaise que nous avons entendu de violentes tirades contre la guerre, — qui nous a sauvés, et de douces hymnes en faveur de l’humanitarisme, — qui a failli nous faire passer sous le joug allemand. Je ne saurais dire à quel point cela m’a paru fâcheux.

Le second acte, qui a pour décor le temple de Janus, est rempli par des mouvements de foule. Si Bérénice parvient à traverser la foule sans être inquiétée, la preuve est faite et elle peut, sans danger, devenir impératrice. Si elle est huée et menacée, c’est la preuve contraire. La facilité avec laquelle se font les premiers pas de la reine à travers une foule étonnée de son audace, ravit Titus déjà tout plein d’espoir. Mais bientôt les murmures commencent, d’abord sourds et rasant la terre, et puis s’enflant et grandissant, et, sans cesse rinforzando, se déchaînent en tempête. A partir de ce moment, c’est un va et vient, une galopade, un flux et un reflux de groupes et de masses. La scène est en proie aux figurants... On connaît cette dramaturgie, qui remplace la psychologie par la figuration, hélas !

Le troisième acte est tout entier consacré aux adieux de Titus et de Bérénice. C’est l’acte de Bérénice. Mme Bartet y a été admirable, comme à son habitude, et à sa manière, qui n’appartient qu’à elle. Le public lui a fait une ovation. Je voudrais dire à la grande artiste tout ce que le public a mis dans cette ovation, et l’ardente requête que nous la prions d’y entendre.

On a annoncé que ce rôle était la dernière création de Mme Bartet et que l’inimitable interprète de Sophocle, de Racine et de Victor Hugo quitterait prochainement la Comédie-Française. Or, nous avons pu constater l’autre soir, ce dont au surplus nous ne doutions pas, que son beau talent n’a subi aucune atteinte et qu’il a gardé toute sa pureté intacte, sans défaillance et sans altération d’aucune sorte. C’est la même perfection, la même intelligence et la même pénétration qui va jusqu’à l’âme d’un rôle, la même harmonie de la voix, de l’attitude, de la physionomie et du geste. Et puis cette diction merveilleuse,