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demi-figure de Reimbrant qui est aux mains de V. S. Illust, elle ne peut être que de toute perfection ; car j’ai vu diverses œuvres en estampe de cet artiste qui sont merveilleusement réussies, gravées de bon goût et faites de bonne manière ; d’où je puis argumenter que son coloris doit être de toute exquisité et perfection et tout ingénument je le tiens pour un grand virtuose. » Aussi le Guerchin, flatté, mais un peu inquiet, ajoute qu’il reprendra sa première manière « gagliarda » pour exécuter un pendant ; mais il demande au collectionneur de lui envoyer une esquisse faite par quelque bon peintre de Messine, tant pour le renseigner sur la silhouette générale de la figure de Reimbrant, que sur la répartition des lumières.

Le 6 octobre 1660, ayant reçu cette esquisse, il écrit à nouveau à don Ruffo en estimant que Reimbrant, ayant voulu peindre un Physionomiste, il se propose de lui donner, en pendant, un Cosmographe avec un turban turquin sur la tête, ce qui semblerait indiquer que ce physionomiste, dénommé par Rembrandt « Aristotèle tenant la main sur une statue, » devait être aussi coiffé d’un turban turquin, comme on en voit tant dans ses œuvres et dans les gravures du XVIIe siècle, où nombre d’Orientaux vendent leur pacotille sur le Dam et sur les quais d’Amsterdam. Mais il est intéressant d’observer, dans ces lettres, la justesse euphonique du nom de l’artiste écrit Reimbrant, tel qu’il se prononce exactement en Hollande, ce qui indique, évidemment, qu’il était bien connu des milieux artistiques d’Italie, où on le discutait souvent. Car il avait aussi des détracteurs et la correspondance d’Antonio Ruffo nous en donne un exemple, vraiment typique, sous la plume d’Abraham Breughel, le peintre de fleurs qui séjournait, alors, à Rome et voulait proposer certain petit peintre, ignoré aujourd’hui, pour soutenir l’art italien, en face du génie rembranesque. Il s’agissait de Giacinto Brandi !

Le collectionneur messinois avait été déçu des diverses productions des meilleurs peintres de la Péninsule, dans sa recherche des pendants italiens aux trois tableaux qu’il avait de Rembrandt, et il ne voulait plus qu’on lui parlât d’en renouveler l’expérience. Il estimait qu’aucun tableau ne tenait devant la puissance de ce génie dominateur ; il venait de le signifier à Breughel qui lui avait indiqué, à ses dépens, quelque nouvel artiste d’avenir, capable d’éclipser l’éclat des trois tableaux du