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donné un peu de répit au monde. Personne ne peut se vanter de pouvoir figer l’Europe dans une forme immuable ; mais on ne peut la modeler pour une période dont la longueur dépendra du modelage adopté. La forme choisie ne fut peut-être pas la plus durable.

Quelque paradoxale que cette conclusion paraisse, l’Allemagne va sortir de la fournaise avec des éléments de puissance supérieurs à tous ceux qu’elle a jamais possédés, considérés par rapport à ceux de tous ses voisins. Disposant de tous ses moyens de production intacte, d’une population énergique, travailleuse, disciplinée et surtout prolifique, elle se relèvera facilement et se débarrassera rapidement des charges que le traité lui impose, et dont sa ténacité espère bien obtenir de larges atténuations, grâce à la lassitude et à la division d’intérêts de ses créanciers. Dans trente ans, cinquante peut-être, — un moment dans la vie des nations, — ayant repris le travail d’expansion économique prodigieux, que nous avons vu au cours des années qui ont précédé la guerre, elle peut espérer encore dominer l’Europe pacifiquement et lui dicter ses lois.

Voilà les pronostics ; ils ne sont pas rassurants ; mais sont-ils certains ? Loin de là. Ils supposent pour base une Allemagne sage, provisoirement résignée, ayant su apprendre et oublier. C’est l’Allemagne des rêveurs, socialistes ou poètes. Or ce n’est pas celle-là qui va renaître de ce cataclysme. Au lieu d’une telle Allemagne, nous verrons apparaître une Prusse agrandie, une Prusse monstrueuse, leur Fafner dans toute sa teutonique horreur. Le travail de prussification que nous avons vu au cours de cette étude naître et se développer, va progresser avec d’autant plus de rapidité qu’on ne craindra plus les observations d’un ennemi qui n’existera plus, d’un contrôle essentiellement temporaire. Ulcéré de dépit et de rage, assoiffé de vengeance, le vieux Prussien, immortel, va reforger son glaive, puis va se chercher un maître. La Constitution le lui permet sans qu’il ait à se payer le luxe d’une révolution. L’élection au suffrage universel du Président du Reich lui en donne l’occasion. Ce ne sera peut-être pas la prochaine, c’est encore un peu tôt ; mais la suivante, dont il pourra avancer l’échéance ; ce ne sont pas les scrupules qui l’étouffent. Comme on a le maître qu’on mérite, si ce n’est pas un Hohenzollern