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24 et voulut renverser le Gouvernement. Grâce à l’appui de quelques éléments fidèles, celui-ci put résister. On se battit place du Château et sous les Tilleuls devant l’Université. Canons, mortiers de tranchée, bombes à gaz, mitrailleuses entrèrent en jeu. Le Gouvernement, bien que victorieux des matelots révolutionnaires, capitula sur toute la ligne, sacrifia les têtes que les mutins réclamaient et souscrivit à toutes leurs revendications. Mieux encore, il les incorpora dans sa garde !

La population, jusqu’alors calme, sortait de son attitude de stupeur morne. Sous la parole enflammée de Liebknecht et de Rosa Luxembourg, les ouvriers s’excitaient, faisaient grève, s’armaient et débauchaient les soldats gouvernementaux. La capitulation du 24 ne suffit pas à satisfaire l’opposition. Les trois membres avancés du Directoire, Haase, Dittmann et Barth, se retirèrent en déclarant qu’ils ne voulaient pas se solidariser avec la répression de l’émeute. Ils furent remplacés par Noske, Wissel et Lobe, tous trois du parti socialiste majoritaire. Noske s’était signalé en arrêtant en novembre, à Kiel, le mouvement révolutionnaire des marins ; Wissel était député, et Löbe rédacteur en chef d’un journal de Breslau.

Le conseil provisoire était donc homogène. Cette communauté d’opinions, et surtout l’énergie de Noske, que ses collègues eurent la sagesse d’appuyer, devaient sauver la situation. Nous allons le voir, la Commune était évitée, mais les tribulations n’étaient pas terminées.

Ce Directoire était soutenu par la presque totalité du pays, par une grosse majorité à Berlin, au moins 75 pour 100 de la population de la capitale. Celle-ci voulut montrer ses véritables sentiments. Le dimanche 29, avaient lieu les obsèques des marins révolutionnaires tués le 24. Liebknecht avait appelé à manifester tous les éléments avancés. Les gouvernementaux organisèrent de leur côté de grands cortèges qui parcoururent les rues toute la journée. On vit pour la première fois ces longs défilés de plusieurs milliers d’hommes et de femmes qui devaient se renouveler si souvent depuis. Marchant par quatre, alignés, au pas, sans un cri, sans un chant, portant de grands écriteaux sur lesquels étaient inscrits leurs témoignages de confiance dans le Gouvernement, ils défilaient interminablement dans les longues avenues. Il en était d’ailleurs de même des cortèges