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Si je pouvais faire en huit jours la deuxième partie des Paysans, je partirais, et je sais qu’en six jours je te verrais !

Mille tendresses pour toi, ma chérie, et dis-toi bien qu’il ne se passe pas une heure sans que tu ne sois dans ma pensée, car, dans mon cœur, tu t’y fais toujours sentir. L’hiver a repris ici avec une grande sévérité ; tu as bien fait de rester à Dresde. Evite ces passages subits du chaud au froid et du froid au chaud dont tu m’as parlé. C’est bien de penser à Anna ; mais ce serait mal et ne pas aimer que de t’oublier.

De tous les personnages dont tu m’as entretenu, il n’y a que la comtesse de L... qui m’ait souri ; cette vieille, qui aime (en toi) l’enfant du comte R (zewuski), me va au cœur. Tu lui diras que je l’aime par intuition ; elle est de mon monde. Quant au Lara [1], tu n’aurais pas dû le voir. Passe pour le porte-glaive [2].

Tu sais qu’on a nommé le bœuf gras de cette année « le Père Goriot, » et qu’à ce propos il y a eu force calembours et puffs à mon endroit. Ceci est un petit restant de nouvelles.

Je suis assez fâché de ne pas aller à Dresde. Je n’ai pas eu le temps quand j’y suis allé uniquement pour voir la galerie, de voir le pays et d’aller à Kulm, afin de pouvoir écrire la Bataille de Dresde ; c’est une des pages les plus importantes dans mes Scènes de la vie militaire, et je suis très porté à rendre justice à l’attachement du roi de Saxe à Napoléon. La Saxe a payé cela si cher, que je trouve la France obligée de payer cette dette.

Allons, à bientôt ; soigne-toi, mon cher trésor, et dis à ta petite bien des choses aimables de la part d’un des plus sincères et (des) plus ardents amis qu’elle aura jamais, sans excepter son mari. Car je l’aimerai comme l’aimerait un père.

Allons, mille baisers, minou chéri.

Mille caresses d’âme et le reste, comme dit notre cher Lafontaine. Aime-moi bien, car tu ne fais que me rendre tout ce que je donne avec délices. Tu me trouveras bavard, mais voici tant de jours que je ne t’ai écrit !

  1. Surnom donné à Liszt.
  2. Le comte Michel de Borch.