Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/808

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et se met à chanter une ariette ; — ou la Reine encore qui, ayant sorti d’un tiroir « une pincée de papillotes, les développe devant le commissaire pour lui montrer les cheveux de ses enfants ; » ; puis, elle se frotte les mains d’une essence et les lui passe devant le visage pour qu’il respire « l’odeur très suave » de son parfum favori. Si le municipal a déjà tenu la garde au Temple, on le salue, en le reconnaissant, d’un aimable : « Nous sommes bien aises de vous voir. » Plus tard, le vieux clavecin qui se trouve dans la chambre de Madame Elisabeth sera l’occasion de groupements amusés : un municipal y ayant plaqué quelques accords et l’ayant trouvé outrageusement faux, l’instrument est réparé le jour même, et, quand les commissaires de service sont des « habitués, » on donne là de petits concerts.

Le Dauphin, lui, trouve grâce devant les plus rogues : sa gentillesse, sa beauté, sa vivacité et son intelligence charment jusqu’aux démagogues qui se réputent irréductibles : Hébert, quand il n’écrit pas pour les abonnés de son ignoble feuille, ne cache point la sympathie que lui inspire ce fils des Rois : — « J’ai vu le petit enfant de la Tour, » disait-il, certain jour à un diner chez Pache ; « il est beau comme le jour, intéressant au possible ; il fait son roi à merveille. Je me plais à faire sa partie de dames ; il me demandait avant-hier si le peuple était toujours malheureux : — C’est bien dommage, m’a-t-il répondu après que je lui eus dit que oui. » Dans son joli costume, — habit de casimir, gris verdâtre, le col de la chemise dégageant le cou et retombant sur les épaules, le jabot de dentelle plissée, le gilet de basin blanc, le pantalon de drap pareil à celui de l’habit, — avec ses beaux chevaux blonds, ses yeux rieurs, sa mine éveillée et sa voix claire, le Dauphin court dans l’antichambre qui, lorsqu’on ne descend pas au jardin, lui sert de préau de récréation ; il y joue au volant, au Siam, sans souci des Commissaires ; il semble qu’il comprenne la puissance désarmante de ses huit ans et du prestige attendrissant de son innocence. Il exerce encore sur la postérité la même attraction et les chroniqueurs en ont abusé pour lui prêter des répliques profondes et des attitudes d’indomptable fierté qui travestissent son enfantine physionomie. On a tant cité de « mots, » manifestement fantaisistes, du malheureux reclus du Temple, que l’historien doit se tenir en méfiance