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au nouveau chancelier que, « par suite de l’écroulement du front de Macédoine et de la diminution de réserves qui en est résultée pour le front occidental, par suite aussi de l’impossibilité où nous nous trouvons de combler les pertes très élevées qui nous ont été infligées dans les combats de ces derniers jours, il ne reste plus aucun espoir, — autant qu’il est possible a un homme d’en juger, — de forcer l’ennemi à faire la paix » et ajouté que « dans ces conditions, il vaut mieux cesser la lutte pour éviter au peuple allemand et à ses alliés des pertes inutiles. » Hindenburg, Ludendorff, hier encore, jetaient bas Kühlmann pour avoir parlé de l’improbabilité de la victoire ! Qu’est-il survenu ? Quel événement inspira soudain aux chefs allemands un respect si insolite de la vie humaine ? L’ « écroulement du front de Macédoine », dit Hindenburg. Le Bulgare a bon dos. C’est bien de l’écroulement du front de la France qu’Hindenburg devrait parler, s’il était sincère. L’effroyable défaite sur le front français des 26 septembre-3 octobre a retenti jusqu’à Berlin. Et l’Allemagne implore le président Wilson de se faire, de belligérant, arbitre pitoyable.

Le maréchal Foch suit d’un œil attentif l’événement. Il sait l’ennemi déjà aux abois. Pratiquement, les réserves de Ludendorff sont presque nulles : que sont devenues, depuis le 26 septembre, les divisions fraîches qui étaient le seul élément tout à fait solide de l’armée ? La crise de l’artillerie arrive à l’acuité ; le kronprinz de Bavière recommande, le 10 octobre, l’économie des munitions et l’ordre se répète sur tout le front allemand. La démoralisation qui en résulte éclate à tous les échelons ; « l’affaiblissement de l’esprit combatif dans notre infanterie » est signalé jusque dans les ordres aux troupes et l’expression est faible : « Une paix si mauvaise soit-elle, ai-je lu dans une lettre le 7 octobre, est préférable pour le soldat au front à l’attente de sa dernière heure, » et le fusilier du 28e régiment qui écrit ainsi, s’appelle légion.

Foch, s’il ne sait pas tout cela, le devine, le pressent, le sent. De notre côté, au contraire, tout va bien. Le 8 octobre, le ministre de l’armement, M. Loucheur, est venu assurer au maréchal que, pour ce qui est des munitions, on pourra faire face à tous les besoins. Les Américains arrivent en masses croissantes. Et l’Angleterre prépare un nouvel effort pour 1919.

Le grand chef ne se laisse point leurrer par les mensonges