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par la géographie. L’art des diplomates est de leur donner les solutions que les circonstances comportent. Par une hypothèse hardie, M. Cambon montre Louvois ressuscité et se trouvant chez lui dans les bureaux du Comité de Salut Public. Et à notre tour, nous distinguons entre les lignes l’idée que l’orateur se fait de l’histoire : il croit à une détermination historique, mitigée par l’action des hommes ; il reconnaît tour à tour l’action des causes permanentes et celle des individus ; et sa philosophie est un juste milieu entre le fatalisme des raisons profondes et l’arbitraire des passions et des caractères.

M. Ribot, qui présidait entre Mgr Baudrillart et M. Frédéric Masson, a répondu par un discours solide et élégant, dont certains passages ont emprunté à sa personne une autorité singulière. Il a d’abord atténué ce qu’il y avait d’un peu systématique dans les vues de M. Cambon sur l’histoire. Il a sinon complété, du moins marqué d’un nouveau crayon le portrait de Francis Charmes, et fait allusion au devoir de conseil qu’il a su remplir. L’amitié fraternelle a fourni à M. Ribot une heureuse transition pour passer de la biographie de Francis Charmes à celle de M. Cambon. Il a, selon l’usage, raconté à celui-ci sa propre vie, avec une gravité courtoise et en hochant la tête ; et M. Cambon l’écoutait, les yeux éperdument clignés, la figure tournée vers la coupole battue par la pluie. Enfin M. Ribot en est venu au temps présent : il a montré, dans quelques phrases fortes, la condition de la France, le péril de la société ; il a énergiquement affirmé sa foi dans le relèvement de l’une et dans le maintien de l’autre. Il a eu un mot de mélancolie en pensant à ce grand avenir qu’il ne verrait pas, tandis que M. Frédéric Masson faisait une moue de résignation philosophique. Et il a terminé en souhaitant la bienvenue à son nouveau confrère.

Chaque séance de l’Académie a pour ainsi dire sa couleur, et l’on y voit un aspect de l’esprit français. Un jour, M. de Curel parle d’Hervieu et les figures passionnées de la scène passent en gémissant. Un jour, Mgr Baudrillart parle de M. de Mun, et la générosité d’une belle âme devient sensible à nos yeux. Cette fois, c’est la bourgeoisie moyenne de la France, son bon sens, son honnêteté, sa droiture intelligente qui ont fait figure sous la coupole.


HENRY BIDOU.