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nuit. L’épine le crève, les froids le gercent, la boue le gâte. Et chaque matin, quand la nuit remonte, des loques s’en détachent, accrochées au hasard. Ainsi naissent les chauves-souris... » Les chauves-souris sont les petits symboles frissonnants de la nuit ; l’alouette est l’allégorie de la lumière : « Je n’ai jamais vu d’alouette et je me lève inutilement avec l’aurore... Mais écoutez comme j’écoute. Entendez-vous quelque part, là-haut, piler dans une coupe d’or des morceaux de cristal ? Qui peut me dire où l’alouette chante ? Si je regarde en l’air, le soleil brûle mes yeux. Il me faut renoncer à la voir. L’alouette vit au ciel et c’est le seul oiseau du ciel qui chante jusqu’à nous. » Les Histoires naturelles les plus charmantes enferment de menus fragments de paysage et aussi de rêve.

Il y a déjà des « histoires naturelles » dans les Cloportes. Il y a l’âne ; il y a les rainettes, qui « roulent leurs r, infatigables ; » il y a les grives, les bécasses et leur long bec qui alourdit leur vol et qui pend. Il y a les araignées et la quantité variée de leurs toiles, qui « s’accrochent aux poutres, se collent aux tuiles, longent une latte et se creusent sous le poids de petites boules blanches qui sont des nids, se vallonnent comme un drap agité par des blanchisseuses ; l’une laisse pendre sa corne comme une poche perd son mouchoir, l’autre encercle dans ses dessins concentriques un oblique rayon de soleil... Une hirondelle entre, fuse, enlève la toile et l’araignée et sort, d’un trait. Cela fait comme une trouée dans une tenture. » Il y a les agneaux, le petit agneau qui vient de naître et qu’on trouve « entre les pattes de sa mère, flageolant sur ses jambes raides, tout pareil aux petits agneaux en bois découpé dont on emplit des boîtes au jour de l’an. » Ces quelques lignes, Jules Renard les a reprises et autrement écrites, dans Poil de carotte : « Chaque matin, le fermier Pajol compte deux ou trois agneaux de plus. Il les trouve égarés parmi les mères, gauches, flageolant sur leurs pattes raides ; quatre morceaux de bois d’une sculpture grossière. » Et peut-être se souvient-on d’un autre petit animal aux pattes grêles et fragiles, la gazelle du dernier Abencerage, couchée dans une corbeille, sur des feuilles de palmier : « Ses jambes fines étaient attachées et ployées sous elle, de peur qu’elles ne se fussent brisées dans les mouvements du vaisseau ; elle portait un collier de grains d’aloës... » La manière n’est pas la même, ici et là. Et laquelle préférez-vous ?... Moi aussi !... Mais, avec son collier de grains d’aloès et puis avec une plaque d’or qui joint les deux bouts du collier, — sur la plaque d’or sont gravés en arabe un nom et un talisman, — cette gazelle de Chateaubriand, si jolie, nous