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bien « ses bas. » Peut-être le manuscrit n’est-il pas d’une lecture très facile ; mais, comme ces deux passages se retrouvent dans les Sourires pincés et dans la Lanterne sourde, il était facile de corriger les deux fautes. Après la mort des écrivains, les négociants font de telles réimpressions de leurs ouvrages, et avec tant de négligence, qu’il est bon de veiller du moins à la première édition. Tâchons de préserver leurs écrits : nous n’avons pas de plus délicat service à leur rendre. Épargnons-leur l’offense et le chagrin des coquilles et autres bévues, même si nous devinons que la mort les a doués de souveraine indifférence ou de sérénité.

A l’époque où Jules Renard écrivait son roman des Cloportes, la jeune littérature avait à choisir entre deux écoles, le naturalisme, un peu fatigué, mais qui n’abandonnait pas la partie, et le symbolisme qui donnait de grandes espérances : il ne les a pas toutes déçues. Quelques années plus tard, Jules Renard s’est moqué de ces deux écoles. « D’abord, Éloi documente avec rage. Ses amis le fournissent sans le savoir. Ne changez pas de chemise devant lui : vous retrouveriez votre torse et le relief exagéré de vos omoplates, huit jours après, au milieu d’un conte. Surtout ne le laissez jamais seul dans votre chambre en désordre. Il ramasse les bouts de cigares, les queues d’allumettes ; il recueille les cheveux oubliés sur l’oreiller, les poils de barbe. Ah ! une fausse dent : quelle perle ! Il examine les peignes, les brosses, la culotte pendue, la savate morte... Il fait un tas des pièces de prix transportables et les noue dans son mouchoir en disant : Tout mon bonhomme est là ; je le tiens. » Voilà le naturalisme. Éloi, devenu symboliste, cherche l’obscur et le trouve : « aveugle, il jetterait, la nuit, sur un tableau noir, les lettres retournées de mots sans suite. » Sa gentille amie pleure de ne pas le comprendre. Ému, il est sur le point de renoncer à son mystère. Mais il se ravise, avec orgueil et défi : et « il mourra avant d’oublier cette minute où il faillit, à cause de sa gentille amie, perdre tout le talent qu’il a de ne pas écrire en français. » Bonne caricature, injuste et ressemblante !

On voit très bien ce que Jules Renard ne devait pas aimer dans le naturalisme : une méthode et un système d’information, dite scientifique, hélas ! et qui n’était ni de la science ni de l’art ; une façon d’inventorier rapide et sotte ; une contrefaçon de la réalité. Ce n’est point sa manière à lui. Cependant, l’auteur des Cloportes, bien différent déjà d’un romancier naturaliste, n’a pas dès son premier essai secoué cette influence d’une littérature alors prépondérante : il y a, dans Les Cloportes, une scène de luxure, un accouchement, et avec