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L’aimait-elle vraiment, et de quelle sorte d’amour ? C’est dommage que toutes ces questions, l’auteur ne se les pose même pas. Nous voyons clairement qu’il déteste cette ambitieuse, mais nous ne distinguons pas d’où elle tient son pouvoir ; nous n’apprenons rien d’elle qui puisse nous le faire comprendre. Nous voyons une froide, une sèche dévote, à figure revêche et commune, qui croirait faire un péché si elle n’allait pas tous les jours à la messe, et qui convoque des fripiers juifs auxquels elle revend elle-même la défroque de son mari. Nous sentons bien que l’écrivain ne peut pas souffrir cette créature, mais pour la rendre intelligible, c’est un soin qu’il nous laisse, et le lecteur est chargé de faire lui-même son « roman. »

L’auteur n’a qu’un souci, qui est de sauver de l’aventure la réputation de son héros : c’est à quoi il consacre toute sa peine, en faisant ressortir cette magnifique « volonté » que l’archiduc déploie pour faire une sottise et de quel « caractère » indomptable il fait preuve dans cette occasion pour imposer son choix. braver les préjugés et défier le bon sens. Il n’arrive, en dépit de ses efforts, qu’à nous laisser l’impression d’une obstination de faible, d’une intelligence bornée et d’un orgueil têtu. Je doute qu’on puisse lire ce « roman » de François-Ferdinand sans en retirer cette impression d’un nigaud, du reste violent et dangereusement « en dessous. » On ne conçoit pas que l’écrivain, avec toute sa partialité pour son impérial élève, n’en ait pas été lui-même frappé tout le premier. D’où vient donc cette admiration passionnée, ce culte qu’ont voué à cette pauvre espèce d’homme tous les cœurs allemands ? Qu’attendaient-ils de lui ? Que représentait-il pour eux ?

C’est que, dans ce « roman, » l’amour est loin de tenir la plus grande place ; tout le premier plan est encombré par des affaires politiques. Les trois quarts du volume sont remplis par les démêlés intérieurs de l’Autriche, par les différends inextricables qui empoisonnent la vie de la double Monarchie. Je n’ai garde de faire ici le tableau de tous ces embarras sans cesse renouvelés entre Allemands, Magyars, Tchèques, Polonais, Slovènes, Roumains, Serbo-Croates, et de toute cette bigarrure ethnique qui devait évidemment rendre fort compliquée la tâche du gouvernement, occupé à faire brouter ensemble tant d’ouailles. On se rend compte, à la lecture de notre auteur » que l’antique monarchie avait atteint ce point où l’on souffre,