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famille surtout, ce bon vivant d’abbé Marshall, le « gentilhomme en soutane, » s’applaudissait des fruits de son éducation ; il se voyait déjà cardinal-prince-archevêque de Vienne. « Dieu fait bien ce qu’il fait, » disait-il avec componction.. Dieu avait certainement ses desseins en élevant jusqu’au trône ce prince sérieux, sage, retenu jusque dans ses fredaines, à qui on ne connaissait qu’une maîtresse qui ne lui coûtait rien, et que sa mauvaise santé (il avait la poitrine délicate de sa mère) empêchait de faire des folies. Quand on le vit partir pour un voyage autour du monde, et débarquer à Port-Saïd la petite actrice, qui avait tenu absolument à le suivre, en costume de mousse, on ne douta plus des hautes destinées qui attendaient ce miracle de vertu.

Qu’on juge de la stupeur de tout ce petit monde quand on découvrit que ce héros, qui pouvait choisir dans tout ce qu’il y avait de mieux en fait de princesses, que cet héritier du trône réservé par la Providence pour le relèvement de l’Autriche et la résurrection des jours de Joseph II, s’était amouraché d’une dame d’honneur de ses cousines, et que cette belle idylle durait déjà depuis sept ans ! Pendant sept ans le prince avait réussi à cacher à toute la famille et à son confesseur même le secret de ses amours. Et il prétendait imposer à la cour, au vieil Empereur ce choix absurde, débuter par une Balbi ou une Maintenon ! Ce fut la ruine des espérances du digne abbé Marshall. Adieu, le prince-archevêque de Vienne ! Ah ! son éducation produisait de jolis résultats ! L’Empereur le chargea de défaire ce mariage impossible, mais c’était plus que ne pouvait l’ « homme du monde en soutane. » Il avait affaire à une fine mouche, pieuse par-dessus le marché, qui levait les yeux au ciel et remettait sa cause entre les mains divines. Elle refusa énergiquement de se laisser mettre au couvent. L’abbé y perdit son latin et n’y gagna que la rancune d’une dévote. Cette haine le conduisit prématurément au tombeau.

Ce mariage plonge notre auteur dans des abimes de perplexités. Le « roman » de l’archiduc, si c’était un roman à la manière française, serait là tout entier. Il consisterait à nous faire comprendre les événements, à nous montrer les secrets ressorts de l’aventure. Il expliquerait les caractères, s’efforcerait de décrire, d’analyser les âmes, de percer le mystère et de débrouiller l’histoire. Un moraliste de chez nous n’aurait pas