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mieux que personne, car je crois qu’il y a collaboré). Le Droit est représenté dans les Commissions Cantonales, et il a veillé à ce qu’il le fût bien. Enfin les industriels ne peuvent souhaiter que le Gouvernement se montre à leur égard plus généreux.,

L’air est presque léger à Douai : à Cambrai il est lourd. Cette ville très riche, où les millionnaires étaient nombreux, l’existence plantureuse et la curiosité intellectuelle endormie, ne paraît pas avoir le même ressort. Il y a de la stupeur autour de ses ruines. C’est à Cambrai que j’ai pour la première fois entendu parler de réfugiés qui, revenus chez eux, n’ont pu y tenir et sont repartis. Des gens m’ont dit : « Pendant plusieurs mois après l’armistice nous avons craint de devenir neurasthéniques. » Un vieux Cambraisien ajoutait : « Nous étions des égoïstes satisfaits. Espérons que cette infortune nous secouera. » L’industrie est morte. Seul le petit commerce donne des signes de vie. On a même peur que cette contagion de découragement ne gagne le paysan, qui, dans l’impossibilité de payer un ouvrier agricole de douze à quinze francs par jour, réduirait sa culture. Le prix qu’ont atteint ses productions lui permettrait de les restreindre sans que ses gains d’autrefois fussent diminués et de porter, sans en souffrir, ce dommage au pays. « Les heures tragiques sont passées, écrivait Mgr Chollet : il y a une certaine joie âpre et fière à les avoir vécues. » Aujourd’hui, ce sont les heures mornes. Il se trouve en présence d’une immense inertie où, derrière les ruines matérielles, on devine des ruines morales. « Sur quatre cents églises, me dit-il, j’en ai trois cents qui sont à réparer ou à construire. Dans la seule ville de Cambrai sept sur huit ont été frappées. Et que de foyers domestiques détruits ! »

On s’agite dans l’effroyable dévastation de Saint-Quentin ; mais l’agitation trahit le désarroi et l’incohérence. On me parle à la mairie d’adjudications passées le 25 juillet (nous sommes au 1er octobre) et dont on n’a plus aucune nouvelle. Des travaux entrepris ont été arrêtés. Manque d’argent ? Manque de main-d’œuvre ? On ne sait. Les usines ne se remontent pas parce que l’état du change ne permet pas d’acheter des machines. Les particuliers, hypnotisés par le nouveau plan de Saint-Quentin, escomptent l’expropriation, et leur initiative en est très ralentie. On m’avait dit que le lycée préparait sa rentrée. Je traverse la cour d’honneur embarrassée de décombres. Je