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suite, une méthode, qui confondent la pensée. » La marche rapide des Alliés a sauvé d’une formidable explosion cette merveille de notre art gothique[1]. Des quinze mille habitations de la ville, on n’en compte pas quatre mille de réparables. Et la moitié des habitants, environ vingt-cinq mille, sont rentrés ! Le cimetière lui-même est plus bouleversé qu’au passage d’un cyclone. Au moins, dans leurs caveaux béants, les morts ne souffrent plus.

Les villes, pas plus que les individus, ne réagissent de la même façon contre le malheur. La vieille ville de Douai, dépossédée de son Université, oubliait dans le giron de sa magistrature le temps glorieux où ses rues voyaient passer tant de maîtres es arts et de théologiens : elle les avait remplacés par des industriels. Mais son développement économique n’avait point étouffé son ancien esprit. Chargée de souvenirs, riche de bibliothèques, la plus française des villes flamandes, elle prouvait qu’on peut être très moderne et très pratique tout en gardant sa fine culture. Les Allemands n’ont rien pu crocheter ni salir de cet héritage. Les gens y sont particulièrement aimables et l’on devine beaucoup de bravoure sous leur gentillesse. Je suis entré chez plusieurs commerçants. J’entends bien les mêmes plaintes qu’ailleurs : crise des transports ; pénurie de charbon ; lenteur des Services de la Reconstitution et leur folle élévation des salaires ; gaspillage des deniers publics. Mais ces plaintes sont ici plus assourdies. Le maire, M. Bertin, ne fait que me les indiquer, comme s’il me savait déjà suffisamment renseigné. Il insiste plutôt sur l’œuvre qu’ont si rapidement accomplie les Chemins de fer et les Ponts et Chaussées. Les voies sont réparées ; les canaux, rendus navigables. (Malheureusement le transport par péniches coûte plus cher que par wagons ; et l’on n’a pas assez de péniches.) Il insiste aussi sur l’excellence de l’initiative privée. Pour lui, le relèvement de Douai est une affaire de quatre ou cinq ans. « Peut-être moins ! » me dit le Président de la Cour, M. Jacomet, qui, coupable d’avoir fait retirer un drapeau allemand d’un palais de justice français, fut arraché de son siège, emmené en Allemagne et enfermé dans une geôle avec des criminels de droit commun. Il se félicite en tant que magistrat de la loi sur les dommages de guerre. (Il la connaît

  1. Je recommande deux petits livres parus chez Laurens : Saint-Quentin de M. A. Boinet et Hôtels de Ville et Beffrois du Nord de M. G. Eulart.