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surmontées de girouettes. Ils n’ont pas abimé tous les toits en tuiles rouges, ni toutes les hautes cheminées ; mais ils ont vidé toutes les caves, ils ont volé tous les matelas ; ils ont souillé ce qu’ils ne volaient pas, et ils ont laissé derrière eux des ponts détruits, sept cents maisons inhabitables, des quartiers en ruines.

De Cambrai, qui cache ses plaies derrière un rideau de verdure, tout le cœur n’est que décombres. C’est une monstrueuse ablation. Le spectacle, pire que celui d’Arras, est surtout plus inanimé. On chemine dans les rues centrales entre deux murailles de pavés qui semblent contenir un chaos prêt à déborder. Les Chinois les ont élevées en une nuit à l’entrée des Anglais. Toutes les formes de ruines sont là, et les grandes ruines d’églises qui ont je ne sais quoi de plus tragique et dont le spectre nous a poursuivis sous le ciel des Flandres.

On croit avoir épuisé l’émotion des ruines. Mais Saint-Quentin dépasse tout. Dans la longue et large rue qui monte à l’Hôtel de Ville, pas une maison qui ne soit cadavérique. Les moins meurtries ressemblent à ces bâtisses abandonnées, déjà marquées du pic des démolisseurs. Les marchands chassés de leur boutique font leur étalage le long du trottoir. Sur la place, j’aperçois un énorme tas de briques : on l’a retiré de la maison d’en face, qui pourtant me paraissait en assez bon état. L’Hôtel de Ville n’a que son toit enlevé et ses pignons ébréchés ; mais à l’intérieur, les Allemands ont dégradé les peintures et arraché dans la salle du conseil le drap de la table et des sièges. Le Palais de Justice est déchiqueté ; le Musée a sauté. Un prélat du XVIIe siècle s’écriait en entrant dans la Collégiale : « Vraiment, cette église paraît avoir été construite plutôt pour commander aux autres que pour obéir à aucune ! » Elle commande aujourd’hui, ruine vertigineuse, à une houle de décombres. La dévastation des bâtiments qui s’appuyaient sur elle lui fait une solitude qui la grandit encore ; et, dans l’effondrement de leurs voûtes maîtresses, son chœur et sa nef semblent élancer jusqu’au ciel la protestation de leurs blessures. La lumière inonde les débris de la crypte et les trous creusés dans ses piliers pour des charges d’explosifs. Mme Lefrançois Pillion, chargée par M. André Michel d’établir le bilan de nos pertes artistiques en Picardie, en a relevé plus de cent. « Le travail, dit-elle, a été mené d’un bout à l’autre de l’édifice avec une