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d’Antibes ; mais elle a sollicité comme un honneur de revenir ici. Quant à son collège, nous avons fini par le découvrir au bout d’une allée de décombres : trois pièces vides, sans portes ni fenêtres, suspendues comme un décor de théâtre. Avant de s’ouvrir, voilà un collège qui sera obligé de se fermer.

J’admire le courage et la bonne humeur de tous les gens qui se dépensent au milieu de ces épouvantables ruines. Devant ces amas de lattes et de ferrailles et toutes ces violations de nos intérieurs, je me dis : « C’est donc ça qui nous abrite, que nous aimons à décorer, que nous nommons avec douceur notre chez nous. Nous travaillons des années et des années pour acheter ça, et nous sommes si contents d’en être les propriétaires ! C’est ici ma maison, mon bien et mes amours. Ça, une affreuse carcasse de bois crevé, de briques et, de boue, des immondices qu’on a hâte de voir balayer. Nous excellons à parer le squelette… » Mais là où je ne vois que la mort et l’image démesurément grossie de l’universel retour en poussière, ceux qui travaillent distinguent les premières palpitations du réveil de la vie. Comme les premières fleurs qui annoncent le printemps, chaque jour, une nouvelle cheminée, un bout de mur blanc, un contrevent, un morceau de toit neuf brille au soleil. Et ils se disent : « Nous renaissons. »

Il y a pire qu’Armentières. Je ne parle pas de la zone sauvage à deux kilomètres de la ville, de cette terre soulevée et creusée comme une sombre houle, que l’imagination peuplera plus tard de fantômes désolés. Il y a pire qu’Armentières : c’est Bailleul, la charmante ville industrielle et surtout agricole, dont les clochers montaient plus haut que ses cheminées d’usine et lançaient leurs volées d’angelus sur de grasses prairies et des champs aussi aimables que des jardins. Là, c’est la mort complète, l’innommable mort, des mamelons de décombres. Le secrétaire de la mairie, M. Vanneuville, nous dit que des treize mille habitants que comptait la ville trois mille deux cents étaient rentrés. Cette fois, bien que je sois dur à l’étonnement, je crus qu’il faisait erreur. Trois cent vingt m’eussent déjà paru un chiffre considérable. Mais il répéta : « Trois mille deux cents. — » « Où vivent-ils ? » Il sourit tristement et haussa les épaules : « Partout. » Et, pour me donner un exemple de l’attachement des Bailleulais à leur sol natal, il me raconta qu’un boucher, que l’évacuation