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Ce qui apparaît dès maintenant dans cette œuvre où il n’y a pas une fausse note et pas une dissonance, c’en est la forte unité. Et le même trait en fait l’originalité certaine. On peut interroger tous ses héros : ils sont de la même famille. Le Contrebandier des Musardises, en qui nous avons vite fait de reconnaître notre vieil ami Don Quichotte, s’il veut à toute force passer la frontière et rentrer en France, c’est pour y rapporter « les héroïsmes superflus. » Ce que représente Cyrano, c’est non pas la bravoure, mais ce qui la complète et la pare d’élégance. « Qu’est-ce que le panache ? Il ne suffit pas pour en avoir d’être un héros. Le panache n’est pas la grandeur, mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur et qui bouge au-dessus d’elle. C’est quelque chose de voltigeant, d’excessif et d’un peu frisé. C’est l’esprit de la bravoure. Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce ; mais cette grâce est si difficile à conserver jusque devant la mort, cette grâce suppose tant de force que tout de même c’est une grâce que je nous souhaite. » Flambeau ne se contente pas d’être brave entre les braves et de faire tout son devoir : il « fait du luxe. » Ils auraient pu être des héros de Rostand, ce colonel Doury qui donnait pour mot d’ordre à ses hommes : le sourire, — et ces cuirassiers, célébrés par Albert de Mun, qui chargeaient dans les roses. Le trait qu’ils ont tous en commun, c’est qu’ils personnifient l’héroïsme à la française.

C’est Rostand qui l’a fait rentrer dans notre littérature. Tous les dons qu’il avait reçus de la nature et de la vie le destinaient à remplir cette mission. Il y fallait l’éclat du verbe, la vivacité de l’émotion, l’ampleur de l’imagination ; mais il y fallait aussi la gaieté, l’esprit et la grâce. Il fallait à ce pur Français tout ce qui lui est venu de sa Provence avec tout ce qui lui est venu de sa Gascogne. Et voici quelle a été sa récompense. Comme, jadis, une société était sortie de la Comédie humaine, de l’œuvre de Rostand il est sorti une jeunesse nouvelle à l’image de ses héros : celle de nos combattants de 1914. C’est sa gloire, — et dans toute l’histoire des lettres je n’en sais pas de plus enviable.


RENÉ DOUMIC.