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et que lui-même il s’est efforcé d’être. Comme le coq enfonce ses griffes dans le sol pour jeter vers le ciel son cri qui monte des entrailles de la terre, ainsi le poète qui porte en lui l’âme d’une race lui donne une voix pour traduire ses aspirations les plus généreuses. Et peut-être le coq ne fait-il pas lever le jour, mais le poète fait lever l’idéal que créent son imagination et sa sensibilité. Tache magnifique et douloureuse. Car le poète y pourra-t-il suffire ? Le souffle qu’il attend reviendra-t-il ? Et la page qu’il vient d’écrire n’est-elle pas la dernière ?... C’est là le véritable drame d’une vie d’artiste : la terreur de se survivre à soi-même. Pour l’avoir rendu avec tant d’intensité et tant d’éclat, on peut bien pardonner au poète cette débauche de lazzis, contre-partie et peut-être rançon du rôle de Chantecler.


III

Edmond Rostand avait vu venir la guerre : j’ai dit ailleurs son émoi devant l’horizon qu’il voyait se charger de nuages. Désormais il n’a plus su que crier sa haine de l’Allemagne et dire sa tendresse pour la France. Le Vol de la Marseillaise est à coup sûr un des plus beaux poèmes patriotiques qu’il y ait dans notre langue. Il fallait le lui entendre réciter, en merveilleux diseur qu’il était, avec cette diction de théâtre plus encore que lyrique, détachant, martelant les syllabes, jouant le poème, en faisant vivre toutes les colères et tous les enthousiasmes. D’un mouvement spontané, les milliers d’auditeurs qui emplissaient la grande salle de la Sorbonne aux Matinées nationales se trouvaient debout : ce que nous acclamions alors, en même temps que le poète, c’était le Destin de la France que nous sentions passer sur nos têtes. Dans le volume auquel le Vol de la Marseillaise a donné son nom et où on a recueilli la production de guerre de Rostand, toutes les pièces ne sont pas de même valeur. Il suffit que quelques-unes soient de purs joyaux. Telles, la Vitre, le Faucheur basque, qui disent avec une émotion si intime ce que c’est que la France, toute la France, et les Ruches brûlées où l’abeille, « chaste buveuse de rosée, » a inspiré Rostand comme elle avait inspiré le Victor Hugo des Châtiments. Telle l’Étoile entre les Peupliers, catéchisme d’une religion à laquelle on ne saurait tolérer un infidèle, la religion